Signe des temps et conséquence logique de la crise (ou de "guerre" selon les auteurs) du gaz de ce mois de janvier, l'idée de l'établissement d'un système de sécurité paneuropéen englobant la Russie refait surface. Le
blog Bruxelles 2 (Europe de la défense) fait ainsi l'écho à la libre opinion développée par l'ancien ministre allemand des affaires étrangères Joschka Fischer. Je renvoie les lecteurs à cette
carte blanche.
Ce que propose Joschka Fischer est, "tout simplement", l'établissement, sinon la refondation, d'un véritable ensemble sécurité européen qui englobe la Russie. C'est là une vieille idée qui, comme je le signalais déjà l'été dernier, ressurgit de manière régulière dans la politique étrangère de la Russie. Bien que l'idée soit partagée depuis longtemps par quelques Européens, il est, néanmoins, intéressant de constater que le relais de ce concept de sécurité paneuropéenne soit désormais expressément véhiculé par un ancien haut-responsable européen surtout lorsque ce haut-responsable a représenté tout un symbole dans les années 1990.
L'ancien ministre allemand des affaires étrangères dresse, à dire vrai, un état des lieux relativement équilibré et critique des avantages auxquels pourrait aboutir un tel système, s'il devait exister, sans, cependant, nier les obstacles majeurs qui viendraient à se dresser sur le chemin qui pourrait éventuellement y mener.
Je ne peux m'empêcher de souligner, dans les propos de l'ancien ministre allemand des affaires étrangères (qui se présnte, il est vrai, comme un "réaliste rebelle") une faille majeure dans son raisonnement. A priori, l'idée première et "force" de la proposition contenue au sein de l'article est plus que louable. Depuis le début des années 1990, l'Occident a géré ses relations avec la Russie sans une réelle vision à long terme de la place que devait désormais occuper Moscou sur l'échiquier régional européen et mondial. Les multiples débats qui eurent lieu dans le cadre de l'OSCE (cf. les discussions sur le modèle de sécurité commun et global pour le 21ème siècle entre 1996 et 1999, les débats parfois houleux tenus au Conseil de l'Europe sur les limites de l'Europe, les fondements chértiens de la civilisation européenne, etc.) ont briallement attesté du fait que l'ensemble des Etats du système paneuropéen naviguaient à vue. Ceci était la conséquence logique, me dira-t-on, des secousses géopolitiques de l'après-guerre froide (dans lesquelles nous évoluons encore, n'en déplaise aux tenants de visions et postures millénaristes). Toutes les structures imaginables furent mises en place et tentées : Conseil de Coopération Nord-Atlantique, Partenariat pour la Paix, Conseil du Partenariat Euro-Atlantique (en remplacement du CCNA), Conseil Otan-Russie, Partenariat OTAN-Ukraine, ... Je ne reviendrai d'ailleurs pas sur les bilans en demi-teinte de ces multiples initiatives auxquelles je n'ajouterai pas les tentatives diplomatiques conduites au sein de l'OSCE. Bref, la proposition de Joschka Fischer est attrayante : pourquoi ne pas réaliser ce qui n'a jamais encore été tenté : intégrer la Russie dans l'OTAN?
Certes, mais là où le raisonnement présente une faille c'est lorsque Joschka Fischer énonce les facteurs qui pourraient pousser les Européens (et sans doute l'Occident dans son ensemble) à intégrer la Russie dans son ensemble, voire à intégrer l'OTAN. Finalement, souligne l'ancien ministre allemand, la volonté de restauration de la puissance russe est structurellement fragile : perspectives économiques incertaines (réduction du prix du baril et, dans son sillage, des énergies), chute de la démographie, etc. Tous ces éléments font que :
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l'Europe ne doit pas changer sa stratégie et ne pas considérer la Russie comme un adversaire stratégique;
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l'Occident doit pouvoir aborder sereinement l'idée d'une adhésion éventuelle de la Russie à l'OTAN (si cela ne suppose pas au prélable un changement radicale de stratégie...).
Il est, de toute évidence, peu probable qu'une relation équilibrée et saine puisse être bâtie entre deux partenaires si l'un des deux partenaires entend tirer profit des fragilités structurelles de son homologue (à moins d'être dans une perspective réaliste).
On remarquera, en outre, que Joschka Fischer fait l'impasse complète sur la question des rapports d'alliance établis entre la Russie et ses partenaires asiatiques dans le cadre de l'Organisation de Coopération de Shangaï (OCS). C'est que l'Occident a quelque peu de mal à appréhender la nature exacte de ce nouveau pôle macropolitique. S'agit-il d'une organisation de coopération économie et politique? d'une organisation de sécurité? d'une Alliance? La préservation de l'ambiguité est expressément entretenue. Surtout, l'OCS est-elle l'instrument approprié à uen forme de rééquilibrage politique en Eurasie? Rien n'est moins sûr.
Quelles que soient les tergiversations diplomatiques qui peuvent entourer la perspective d'une redéfinition du système de sécurité européen, plusieurs données doivent être gardées à l'esprit: les dirrigeants actuels de la Russie (V. Poutine en premier lieu) a su tirer les leçons des années 1990. L'idée d'une intégration de la Russie dans l'ensemble occidentale (et plus spécifiquement de l'OTAN) dans les conditions actuelles (et les récentes crises intervenues pourraient bien constituer des arguments à la faveur du maintien d'un statu quo) est purement irréalisable. Il serait, enfin, illusoire de penser que les Etats-Unis puissent, avec le nouveau Président Obama, laisser évoluer l'Europe comme un électron libre dans l'Alliance. Si la place de l'Europe au sein de l'Alliance a certes évolué pour connaître une relative montée en puissance, il serait dangereux d'en déduire que tout projet de rapprochement de la Russie avec les Européens puisse s'opérer avec l'aval "par défaut" de Washington.
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Alain De Neve