Dans la série de billets consacrés à la posture probable de la nouvelle administration Obama en matière de défense antimissile, le webzine Space War (http://www.spacewar.com/reports/Obama_Missile_Defense_Priorities_Part_Three_999.html) revient sur une donnée somme toute élémentaire, néanmoins des plus intéressante, relative à la “dynamique” des programmes d’armement moderne, bien souvent caractérisé (principalement aux Etats-Unis), par une haute capacité technologique.
Les éditeurs de Space War indiquent, en effet, que la marge de manoeuvre de la nouvelle administration démocrate sera particulièrement étroite s’agissant de l’avenir de la défense antimissile de territoire aux Etats-Unis. L’article rappelle ainsi que dans la note publiée le 12 novembre 2008, intitulée “Barak Obama and Joe Biden on Defence Issues”, le nouveau Président des Etats-Unis interrogeait l’efficacité et l’efficience du projet de bouclier antimissile, soutenu par la précédente administration Bush (on remarquera que le Président Clinton avait préféré léguer la responsabilité de la prise de toute décision définitive sur ce projet). Le contre-argument développé par Baker Spring et Peter Brookes est de dire que le nouveau Président aborde maladroitement la problématique en considérant les éléments du bouclier de manière individuelle. Or, précisent les auteurs, et on ne saurait a priori les contredire, le bouclier, comme la majorité des équipements avancés de défense aujourd’hui, constituent des systèmes de systèmes dont les éléments constitutifs ne peuvent être évalués sans qu’une décision sur ces éléments constitutifs n’impactent sur l’ensemble du projet considéré et de ses sous-composants. Evidemment, la focalisation des observateurs sur la réelle capacité d’interception en hit-to-kill des missiles antimissiles américains tend à dissimuler le fait que bien d’autres éléments du bouclier participeront, notamment en amont, à la défense effective (espère-t-on) du territoire américain. Sur cette base, on imagine que la conclusion de cette démonstration est de dire que tout jugement portant sur les seuls intercepteurs pourrait affecter les divers composants du bouclier dont on manque de révéler le potentiel réel.
On voit là l’illustration brillante du syndrome qu’a pu mettre en avant Jean-Jacques Salomon dans ses divers écrits sur le rapport entre le politique, la science, la technologie et le militaire. Au vrai, l’administration Obama risque sans doute fort d’être à son tour happée par le complexe du délice technique. Un programme peut se révéler si techniquement délicieux qu’on en vient à ne plus s’interroger à son sujet (J.-J. Salomon, Le scientifique et le guerrier, Paris, Belin, coll. Débats, 2001, p. 77); les problèmes militaire, politique ou humain du programme n’étant débattus qu’à partir de l’instant où celui-ci est définitivement acquis. On pourrait pousser l’argumentation en affirmant comme avait pu le faire en son temps Matthew Evangelista (M. Evangelista, Innovation and the Arms Race: How the United States and the Soviet Union Develop New Military Technologies, Ithaca (New York), Cornell University Press, 1988), que certains programmes ne sont poursuivis que par l’insistance des scientifiques et des laboratoires qui le soutiennent. Cette hypothèse semble, sans doute, exagérée, peu crédible et résiste peu à l’analyse des programmes d’armements de ces vingt dernières années. Toutefois, une chose est sûr: il existe bel et bien un délice technique du projet antimissile qui génère, en outre, une tyrannie réelle vis-à-vis des politiques et des bureaucraties qui seront appelés à statuer sur son sort. Si l’on ajoute à ces éléments, les préoccupations de l’administration et des élus locaux relatives à la préservation des bassins d’emploi impliqués dans la confection des systèmes, il est certain que l’administration Obama verra son potentiel de manoeuvre fortement altéré.
Note : je souligne, à ce propos, l’excellent ouvrage de Joseph Henrotin, La technologie militaire en question. Le cas américain, paru chez Economica dans la collection de Vincent Desportes, qui aborde l’ensemble de ces aspects avec détails et investigation. J’en ferai prochainement une critique de lecture sur ce blog.
Je n'ai pas lu JJ Salomon, mais dans le cas des MDs la focalisation a priori sur les problèmes techniques - même si toutes les critiques des MDs ne s'y limitent pas - me semble faire sens: d'abord parce qu'une très haute probabilité d'interception (95%) a été donnée comme critère d'efficacité et de viabilité du système; ensuite parce que dans le domaine des MDs, dans lequel sont injectées des sommes considérables, si toutes les composantes du système fonctionnent mais que l'on ne dispose pas de cette capacité technique d'interception, on voit mal l'apport réel du système en situation de guerre (en particulier si cette faiblesse est connue).
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerMerci pour votre commentaire. En effet, je conviens que l'efficacité du système peut être l'objet de spéculations dans le cas d'un conflit ouvert. Vous évoquez la hauteur de probabilité d'intereption exigée (95%). J'ai eu l'occasion de discuter de cet aspect avec un collègue récemment et on était d'accord pour dire que, pour le cas d'un tel système, la probabilité d'interception devrait être de 100% (ce qui, me direz-vous, n'est plus une probabilité, par définition). Car si le système ne fonctionne pas à 100% (ou à 99,9999999%), il ne remplit pas sa fonction "dissuasive" conventionnelle. Enfin, tout cela est sujet à débats et pourrait faire l'objet d'innombrables conjectures.