mardi 20 octobre 2009

La tyrannie de la technique sur la pensée

Ce lundi 19 octobre, Martin van Creveld, professeur émérite de l'Université hébraïque de Jérusalem, expert de l'histoire de la guerre et auteur de nombreux ouvrages de référence en stratégie, nous a fait l'honneur de sa présence en tant qu'orateur de notre cycle de conférences du soir à l'Institut Royal Supérieur de Défense. A plus d'un titre, l'exposé qu'il a réalisé restera, sans nul doute, dans les annales de notre institut. L'éloquence et, à certaines occasions, la fougue de l'expert y ont très certainement contribué. C'est, par ailleurs, en de telles occasions que nous pouvons mesurer le différentiel, parfois extraordinaire, de perception des problèmes de sécurité selon que nous nous vivons et évoluons dans une zone en crise ou dans une région qui a bénéficié de plus de cinquante années de « paix relative » mais néanmoins concrète.

Sans remettre en cause l'expertise de celui qui figure parmi les penseurs les plus prolifiques et les plus écoutés des « Princes » dans le domaine de la stratégie, je ne peux m'empêcher de revenir sur quelques points de l'exposé qui, à mon sens, me paraissent problématiques, voire générateurs de quelque paradoxe.

Je constate que Martin van Creveld voit dans la Technique l'un des éléments stabilisateurs de l'environnement stratégique. Constat, me direz-vous, assez étonnant quant on sait la vergue avec laquelle l'orateur défend l'idée selon laquelle l'avenir de la guerre sera constitué de conflits de basse intensité (expression avec laquelle je me suis souvent senti mal à l'aise tant elle ne reflète qu'imparfaitement l'intensité des opérations qu'elle peut recouvrir). Plus précisément, Martin van Creveld voit dans l'arme nucléaire l'élément stabilisateur par excellence des relations internationales et stratégiques. Certes, on ne peut a priori nier ce qui constitue, à l'évidence (mais méfions nous d'un tel terme!), une des grandes leçons de l'Histoire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais là où je ne rejoindrai point l'orateur c'est lorsqu'il affirme que l'extension des détenteurs de l'arme nucléaire conduirait, de façon quasi-mécanique, à une extension du degré de paralysie stratégique de l'environnement international. Sur ce point, Martin van Creveld semble gravement déconsidérer le poids qu'exerce la représentation qu'une communauté de dirigeants peut se faire d'une telle force de frappe et qui ne réside pas forcément, comme semblait le laisser penser les propos de l'expert, en une logique de non-emploi. Surtout, le degré de « raffinement technique » de l'arme nucléaire impacte, forcément, sur la marge de manœuvre dont disposera l'Etat « possesseur » quant à la destination finale de l'arme (dissuasion ou première frappe). A cela, s'ajoute l'hypothèse, toujours théoriquement possible mais pratiquement improbable, de la décision gratuite... mais j'entends déjà la voix de mon ancien Professeur, Jean Barrea, me rappeler à mes cours passés sur les conditions et les possibilités offertes par l'arme absolue!

Martin van Creveld a, également, tenu des propos pour le moins radicaux sur l'avenir promis, selon lui, aux systèmes de force conventionnels. Chacun y a pris pour son grade... et son arme... mais avec le sourire. Là aussi, je ne peux totalement rejoindre les affirmations de l'orateur. Affirmer que systèmes d'armes terrestres, navals, aéronautiques confondus sont tous, sans exception, promis à un déclin inévitable est aller quelque peu vite en besogne. Dans son allocution, l'orateur affirmait qu'après avoir comparé l'évolution des principales forces aériennes des puissances militaires de la planètes, une tendance claire s'était, à ses yeux, dégagée : toutes les forces aériennes prises en considération avaient connu une réduction d'un tiers de leurs arsenaux aériens. Certes, on ne peut remettre en question la validité de cette analyse quantitative. Mais elle néglige justement la dimension qualitative. L'envergure des missions et l'évolution des doctrines d'emploi des systèmes d'armes aériens – puisque ce sont de ceux-là précisément dont il est question – ont connu des modifications substantielles. En d'autres termes, il me semble que l'on peut faire aujourd'hui mieux et plus avec moins. Par ailleurs, la réduction constatée de l'arsenal ne s'explique pas seulement par « l'inutilité » intrinsèque soudaine du système d'arme considéré mais aussi, peut-être et certainement, par la réduction des budgets de défense sur l'autel du partage des dividendes de la paix, de la répartition de la croissance (quand elle existe) ou de la recherche de l'équilibre budgétaire (quand il fait conjoncturellement défaut). L'analyse de l'orateur ne procède donc pas à une analyse rigoureuse des variables multiples à prendre en considération dans un tel examen.

Enfin, une dernière remarque qu'a soulevé, de façon très pertinente (comme toujours), mon confrère Thomas Renard, c'est la limite de la portée prédictive de l'observation faite par l'orateur sur la capacité de nos forces armées à venir à bout du terrorisme. Si, comme l'indique Martin van Creveld, on a aucun exemple d'armée régulière parvenue à vaincre un groupe terroriste (encore que cette affirmation devrait être mieux analysée), il n'existe pas plus de cas de figures attestant d'une victoire incontestable de groupes terroristes sur des armées ou forces régulières (même si, dans une certaine mesure, la défaite est souvent transformé par le mouvement terroriste en victoire au niveau du symbole).

Comme vous le constaterez, l'allocution de Martin van Creveld, a – c'est le moins que l'on puisse dire – suscité un débat nourri. Pour ma part, et bien que je ne partage pas les convictions et observations de l'orateur, force est de constater qu'il présente une immense qualité : celle de réussir à susciter dans son audience des passions constructives et des réactions qui nous empêchent, reconnaissons-le, de verser dans un régime de « pensée unique et molle ».

Merci donc Professeur !...

dimanche 18 octobre 2009

Le nouveau plan antimissile d’Obama ou… comment placer les Européens au pied du mur

image Dans l’édition du 5 février 2009 d’"Europe, Diplomatie & Défense”, les premiers mouvements de l’Administration Obama sur le délicat dossier de l’antimissile me poussaient à écrire ceci :

D’un excès de garantie de sécurité - essentiellement située dans le discours et, de ce fait, perturbatrice des équilibres stratégiques et des mécanismes de dissuasion nucléaire -,l’Europe passerait à un déficit d’assurance, notamment au niveau de son flanc Sud-Est. Cette conjecture placerait de facto les Européens de l’Alliance et les États membres de l’Union européenne au pied du mur et signifierait qu’il serait désormais de la responsabilité de l’Europe de concevoir son apport à une éventuelle protection antimissile mais surtout de se définir une vision stratégique nouvelle qui intègre cette donnée. Et ce dans un contexte marqué, si les experts le confirment dans les prochains jours, par l’accroissement du potentiel spatial iranien. Or, on sait la réticence des diplomaties nationales, tant au niveau de l’UE (une révision intégrale de la stratégie de sécurité européenne n’a pas su aboutir) que de l’OTAN (au niveau des discussions sur un hypothétique nouveau concept stratégique), à poser ces interrogations fondamentales ; un exercice qui reviendrait à ouvrir une boîte de Pando

Il semble que les dernières avancées des Etats-Unis sur la révision de l’architecture antimissile US et, surtout, les résultats qui semblent avoir été engrangés lors des récents pourparlers avec la Pologne et la République tchèque, tendent à confirmer que les Etats-Unis contraignent les Européens implicitement l’ensemble des Etats européens à se définir une posture sur la question de la défense antimissile.

Plus exactement, le nouveau plan de l’administration envisage l’installation d’une trentaine de batteries de missiles SM-3 en Pologne d’ici 2014 (avec un centre de commandement basé en République tchèque), comme le rappelle Nicolas Gros-Verheyde sur son blog. Nombre d’exprtes soulignent, cependant, que le SM-3 pourrait ne pas se révéler un vecteur optimal dans la mesure où il pourrait se révéler sensible aux leurres.

Mais qu’à cela ne tienne. Pour pallier aux insuffisances éventuelles des SM-3, l’Administration Obama pourrait compter – dans son approche “inclusive” du dossier – sur la participation des programmes européens en matière d’antimissile. Toutefois, si l’Europe dispose bel et bien du savoir-faire et de l’expertise technologique et industrielle en la matière (cf. les programmes ASTER, MEADS [en coopération avec l’US Army]), il reste aux Etats européens à sauter le pas en vue d’entamer une réflexion sur une défense antimissile parcellaire de territoire (même si cette réflexion existe d’ores et déjà au sein de l’OTAN).

Un débat à suivre de près…

samedi 17 octobre 2009

Contribuez au débat public sur les nanotechnologies sur Agoravox !

Le 15 octobre, le débat national sur les nanotechnologies sera lancé. Jusqu’au 24 février 2010, tous les citoyens pourront s’informer sur le sujet, débattre et échanger leurs arguments. Dès aujourd’hui, Agoravox est l’un des lieux où s’exprimer et prendre part à ce débat.
Les nanotechnologies, ces techniques qui permettent de créer des objets 500 000 fois plus petits qu’un cheveu, ne font pas consensus. Leurs applications, avec toutes les perspectives qu’elles ouvrent - dans les champs de la santé, de l’électronique et de l’environnement notamment - ne sont pas exemptes de risques potentiels.
C’est pourquoi, conformément aux engagements du Grenelle de l’environnement, le Gouvernement a sollicité la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) pour mettre en place le débat. Son organisation a été confiée à une Commission Particulière du Débat Public (CPDP), présidée par Jean Bergougnoux.
Sur un plan plus pratique, ce débat public se tiendra du 15 octobre 2009 au 24 février 2010 :
- dans 17 villes de France lors de réunions publiques gratuites et ouvertes à tous (liste des dates, des lieux et des thématiques : http://www.debatpublic-nano.org/participer/reunions_publiques.html )
- en continu sur le site web de la CPDP, où il sera possible de questions et de proposer ses contributions dès le 15 octobre : http://www.debatpublic-nano.org/index.html
Mais au-delà de ces deux possibilités pour débattre, Agoravox se propose d’être un espace pour :
- couvrir les réunions publiques qui se dérouleront près de chez vous
- faire connaître votre avis et vos arguments
Pour ceux qui ont un blog ou autre espace d’expression sur le web, n’hésitez pas à y animer ou à y relayer cet événement citoyen, comme cela a déjà été fait par de nombreux membres de la blogosphère.
En effet, via quelque moyen de diffusion que ce soit, c’est le bon moment pour s’exprimer et se faire entendre au sujet des nanotechnologies.
Pour tout renseignement, n’hésitez pas à consulter le site du débat public, ou à contacter les modérateurs d’Agoravox qui me transmettront l’info.

Pour ma part, ayant été invité à contribuer/animer des débats sur les perspectives d'emploi militaire des nanotechnologies et sur les risques sécuritaires qui leur sont associés, je posterai diverses contributions thématiques sur ces sujets, que ce soit sur Agora Vox ou sur les pages de ce blog.
Bon débat à tous

lundi 12 octobre 2009

Nouvelle note d’analyse de la Chaire InBev Baillet-Latour sur les relations Union européenne-Chine de l’UCL

iceberg_melting2 Je signale, également, la parution récente de la nouvelle note d’analyse de la Chaire InBev Baillet-Latour sur les relations Union européenne – Chine de l’Université catholique de Louvain où mon confrère Tanguy Struye fait un boulot formidable (de cette façon, j’obtiens son pardon pour tous les articles que je lui remets en retard) !

http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/pols/documents/NA5-INBEV-FULL.pdf

Au passage, vous pouvez également relire ma note sur les ambitions spatiales chinoises disponible à l’adresse suivante : http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/pols/documents/NA4-INBEV-FULL.pdf

Bonne lecture !

Antimissile : le dessous des cartes

300px-arrow_anti-ballistic_missile_launch Pour ceux qui n’avaient pas eu l’occasion de le lire, je vous invite à parcourir la réflexion posée par André Dumoulin et moi-même dans la Libre Belgique du 25 septembre dernier.

http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/531126/antimissile-le-des-sous-des-cartes.html

Bonne lecture !

dimanche 11 octobre 2009

The Good Enough Revolution: When Cheap and Simple Is Just Fine

Je vous parlais dans mon précédent billet du concept de “Good Enough” en étude des technologies et vous citais, plus exactement, un article de la revue Wired à ce propos.

Le voici. Il comporte des données intéressantes sur le domaine applicatif des technologies militaires.

Bonne lecture !

The Good Enough Revolution: When Cheap and Simple Is Just Fine

RIA Novosti - International - ABM: Washington ne change pas ses projets (médias) selon des experts russes

C’est là, somme toute, l’une des évidences (in)consciemment passée sous silence dans ce dossier sur l’antimissile américaine : la déclaration du Président Obama constitue, avant tout, une réorientation du projet de déploiement élaboré par l’Administration Bush. Elle n’est, en rien, l’affirmation d’une renonciation à l’établissement du système comme nous l’évoquions André Dumoulin et moi-même dans une opinion parue dans La Libre Belgique du 25 septembre dernier. Cette décision est-elle motivée par des facteurs exclusivement économiques? Pas sûr. Même si le contexte de la crise économique aura très certainement pesé d’un certain poids. Des motifs technologiques viennent, de la même manière, à l’appui de la révision d’architecture envisagée par le Président Obama. En effet, compte tenu du fait qu’une défense antimissile ne saurait garantir une couverture à 100% efficace, il semble que l’Administration soit désormais tentée par un système, disons, du type “Good Enough”; un paradigme très tendance selon la dernière livraison de la revue Wired.

Bref, il est très loin d’être acquis que la décision de la nouvelle Administration américaine se soit voulue uniquement un message en direction de Moscou et de Téhéran.

En attendant et pour alimenter votre opinion sur le sujet, je vous invite à parcourir les réactions russes…

RIA Novosti - International - ABM: Washington ne change pas ses projets (médias)