dimanche 28 septembre 2008

Nouvel ouvrage de Joseph Henrotin

Confrère et ami depuis maintenant huit ans, Joseph Henrotin publie dans un ouvrage de 226 pages (et croyez-moi, pour condenser sa pensée en seulement 226 pages, il a du se faire violence !) les résultats de sa recherche doctorale, défendue brillamment l’année dernière à l’Université libre de Bruxelles.

En voici le millésime : La technologie militaire en question. Le cas américain, Paris, Economica, coll. Stratégies et doctrines, 2008, 226 pages.

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Quatrième de couverture :

Si il existe, depuis l’aube de l’humanité, une technologie militaire, cette dernière n’est plus uniquement, de nos jours, un outil au service des combattants. Mal gérée, elle peut aussi imposer des contraintes directes à la tactique, à la stratégie comme à la politique. Plutôt que d’augmenter la liberté des décideurs, elle pourrait la réduire. Elle peut même brouiller notre vision de l’adversaire comme du combat et ne faire voire d’eux que ce que l’on voudrait bien en voir : des capacités évacuant, paradoxalement, la stratégie de l’art de la guerre.
En ce sens, la technologie peut devenir une idéologie en soi, qualifiée ici de « technologisation ». On le devine, une telle évolution est néfaste. En examinant le cas américain – variablement imité en Europe – l’auteur analyse ici les travers comme les origines d’une conception où la technologie serait trop prégnante dans les débats comme dans l’action stratégique. Mais il ouvre également la voie à des solutions et en appelle, en particulier, à un retour aux élémentaires de la stratégie.

L’Arctique: nouvelle Méditerranée?

Preuve que certains de nos députés (et, croyez-bien qu’ils sont nombreux) s’affairent aussi sur les dossiers internationaux (même si ce type de sujet semble moins médiatisé que les dissensions communautaires de notre pays), plusieurs questions parlementaires m’ont été transmises qui ont pour objet l’évolution de la situation dans l’Arctique et les enjeux stratégiques émergents dans la région.

Avertissement : Les éléments de réponse qui figurent ci-dessous reprennent les informations “synthétiques” que j’ai transmises pour traitement. Elles découlent des analyses conduites par quelques experts de la question. Les réponses qui seront fournies par les services intermédiaires à nos parlementaires ne reprendront sans doute pas, avec exactitude, le contenu qui y figure.

Quelles sont les nouvelles routes maritimes qui se développeront autour du pôle Nord ?

Deux routes maritimes se développeront dans la région du pôle Nord (Figure 1 : carte des nouvelles routes du Grand Nord)

    1. le passage du Nord Ouest (au Nord du Canada), qui fut pour la première fois dans l’Histoire ouvert à la navigation maritime en date du 21 août 2007.
    2. La route des mers septentrionales (au Nord de l’Eurasie)

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Figure 1 : le passage du Nord Ouest

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Figure 2 : le passage du Nord Ouest (en rouge) et le passage par le Canal de Panama (en vert)

Seule inconnue (ou incertitude) : le temps et l’intensité future de la déglaciation. D’après des études récentes, on a assisté entre 1978 et 1996 à une diminution estivale de 17,6% de la calotte glacière tous les dix ans au niveau de la Mer de Barents et de la Mer de Kara. Cette diminution est de l’ordre de 3,7% pour les Mers de Chukchi, de Sibérie orientale et de Laptev. Entre 1978 et 1998, une réduction de 40% de la densité de glace de la calotte polaire a été observée.

Les plus récentes analyses sur l’évolution de la réduction de la calotte polaire divergent. Ceci en raison de la complexité des facteurs qui participent à la déglaciation (réchauffement global, quantités, périodisation et effets des précipitations). Toutes s’accordent cependant sur la perspective d’une diminution de la calotte glacière. L’hypothèse d’un maintien de la masse glacière arctique est écartée. Le scénario du pire est une disparition complète de la couverture glacière du pôle Nord entre 2040 et 2060. Ce qui ferait de l’Arctique une nouvelle mer intérieure située, qui plus est, entre les principales puissances de la planète (à l’instar de la Méditerranée durant l’âge d’or européen).

L’exploitation de ces routes est problématique. D’importants problèmes de sécurité liés à la dérive des glaces (icebergs de plusieurs kilomètres) risquent d’affecter l’exploitation économique (pêche, transport maritime, exploitation des gisements pétroliers et gaziers). Ces icebergs pourraient également endommager les infrastructures portuaires des régions riveraines existantes ou projetées.

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Figure 3 : carte des nouvelles routes du Grand Nord

Quelles sont les postures exactes des Etats riverains vis-à-vis de l’ouverture des passages du Grand Nord ? Quelles sont les prétentions de ces Etats sur ses routes ? Quelles sont les revendications territoriales relatives aux plateaux continentaux ?

Russie :

La Russie considère l’Arctique comme une réserve naturelle légitime.

Elle entend démontrer l’appartenance de la dorsale de Lomonosov au plateau continental russe (cf. expédition du mois de juillet 2007 d’un sous-marin de poche avec deux membres de la Douma à son bord).

Intérêt stratégique évident. Proviennent de l’Arctique :

a. 90% de son gaz

b. 60% de son pétrole

c. 90% du nickel et du cobalt

d. 60% du cuivre

e. 98% des métaux de platine

En outre, les estimations relatives aux réserves énergétiques non-découvertes en Arctique équivaudraient à 375 milliards de barils (pour info, les estimations relatives aux réserves restantes de l’Arabie saoudite s’élèvent à 261 milliards de barils).

Projet initié par Gazprom et LUKoil pour le développement de brise-glaces à propulsion nucléaire.

La Russie entend redéposer en 2009 une demande de reconnaissance de la souveraineté russe sur la dorsale de Lomonosov auprès des Nations Unies au niveau de la Commission des limites du plateau continental.

Etats-Unis:

Les Etats-Unis manifestent un intérêt marqué pour l’Arctique, notamment dans ses aspects stratégiques et militaires (impact de la déglaciation arctique sur sa stratégie navale).

Les Etats-Unis ont refusé de ratifier la convention de Montego Bay (tandis que la Russie a procédé à sa ratification en 1997). Conséquence : cette non-ratification empêche les Etats-Unis de faire valoir leurs prétentions sur la zone se situant à quelque 600 km des côtes de l’Alaska.

Envoi d’une patrouille des U.S Coast Guards en date du 6 août 2007 (au lendemain de l’expédition russe) pour une durée de quatre semaines aux abords du pôle Nord.

L’U.S. Navy a organisé en 2001 et 2007 deux colloques sur les conséquences de la déglaciation polaire (cf. sources bibliographiques).

Canada :

Prétentions canadiennes sur le passage du Grand Nord affirmées depuis 1946. Selon les autorités de l’époque, une large part de l’Arctique appartiendrait au Canada.

Ottawa rejette donc les prétentions de Moscou.

La souveraineté canadienne dans l’Arctique a été réaffirmée en juillet 2007 par le Premier ministre Stephen Harper.

Le Canada a organisé plusieurs exercices militaires dans le Grand Nord et en Arctique. Il prévoit la construction d’un port en eaux profondes à Nanisivik. Six à sept navires de patrouilles spécifiquement conçus pour le contrôle de ce que le Canada considère comme ses mers intérieures est prévu (budget estimé à 7 milliards de dollars sur 25 ans).

Danemark :

Danemark en opposition avec la Russie concernant la souveraineté sur la dorsale de Lomonosov qu’elle considère comme liée au Groenland.

Un budget de 25 millions de dollars a été engagé en 2004 pour financer des recherches géologiques destinées à apporter la preuve scientifique du rattachement du Groenland à la dorsale de Lomonosov.

Selon des informations récentes, le Danemark aurait bon espoir d’obtenir satisfaction à des demandes.

Quels sont les conflits potentiels pouvant résulter de l’ouverture des nouvelles voies de passage du Grand Nord ?

Avant tout, il est important de considérer que la navigation, l’exploitation économique de ces passages sera particulièrement risquée en raison de la dérive des masses glacières résultant de la fonte de la calotte polaire. Toute hypothèse de conflit nous projette, dès lors, si nous suivons le scénario du pire, à une date au-delà de 2040.

Néanmoins, des disputes existent d’ores et déjà ou se révéleront plus prégnantes dans les années à venir. Elles concernent : le passage du Grand Nord (aucun Etat ne reconnaît au Canada la souveraineté qu’elle prétend être en droit d’exercer sur cette zone), l’île de Hans (Canada vs Norvège), Mer de Barents (Norvège vs Russie mais accord partiel conclu en 2007), le Spitzberg (Russie vs Norvège, non réglé), le Détroit de Béring (Etats-Unis vs Russie, accord intervenu en juin 1990 mais non-ratifié par les deux protagonistes).

Quelles sont les bases et activités militaires dans la région ?

Russie:

En juillet 2007, la flotte russe du Nord a procédé à des exercices de grand envergure (avec tirs réels depuis les navires de surfaces, aéronefs de l’aéronavale et de l’infanterie de marine). Les forces armées russes procèdent également au test de missiles en conditions polaires.

On note également le survol opéré par des bombardiers à long rayon d’action SU-24.

On ajoute également un accroissement des activités des bases militaires russes de Tiksi, Vorkuta et Anadyr.

Etats-Unis:

Les Etats-Unis envisagent l’adaptation de leurs capacités militaires aux conditions arctiques (dans le cadre d’une zone arctique dépourvue de glaces).

Objectifs : tester la résistance et l’opérabilité des systèmes d’armes (existants et futurs) dans des conditions de froid extrêmes ; tester l’opérationnalité des dispositifs de communications et de radionavigation dans des latitudes élevées ; anticipation des modèles de prévision des conditions climatiques et atmosphériques dans un environnement dynamique – développement de plates-formes militaires (aériennes et navales) adaptées aux conditions d’évolution en milieu arctique[1].

Sources bibliographiques principales

Naval operations in an Ice-free Arctic Symposium, 17 – 18 April 2001, Final report, Office of Naval Research, National (previouslu known as “Naval”) Ice Center, Oceanographer of the Navy and the Arctic Research Commission, 2001.

DUFOUR, J., « L’Arctique, un espace convoité : la militarisation du Nord canadien », Géopolitique et militarisation du Grand Nord Canadien (1ère partie), Mondialisation.ca, 26 juillet 2007, cf. http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=6404.

RENARD, T., "Climate Change and International Security: Understanding a Complex Relationship in Order to Forecast Future Conflicts (2007-2030)", Report for the Assistant Chief of Staff Strategy, Belgian Armed Forces, July 31, 2007

SMITH, M. A. & GILES, K., The Last Dash North, Advanced Research and Assessment Group, Defence Academy of the United Kingdom, Russian Series, 07/26, September 2007.


[1] Il est raisonnable de penser que des investissements croissants seront consentis aux recherches scientifiques dans le domaine des matériaux et de l’amélioration de leur résistance et invariance aux conditions climatiques. Les nanosciences et les nanotechnologies seront, très certainement, l’un des principaux fers de lance de ces recherches.

mercredi 10 septembre 2008

La polémique EDVIGE rapportée par la RTBF

Reuters

Une fois n'est pas coutume, je m'intéresserai, dans ce billet, au fichier/logiciel EDVIGE, le fameux fichier de renseignement systématisé qu'entend mettre en oeuvre la France. Plus exactement - et je m'excuse auprès des non-belges qui me font l'honneur de consulter mon blog - je me pencherai sur la façon dont le projet français a été rapporté et analysé par la radio-télévision publique belge francophone, la RTBF.

Car je crois qu'il y a dans le reportage qui a été présenté en date du 9 septembre (édition télévisée du soir) une extraordinaire méconnaissance - je ne dirai pas "manipulation" - de ce que constitue exactement EDVIGE.

Avant d'entrer plus en matière, que l'on me permette de mettre les points sur les "i". Je m'oppose résolument à la mise en place d'un tel fichier. Je reste persuadé que l'instauration d'un système de renseignement semblable exprime le malaise d'une société guidée politiquement par la peur. Or, l'histoire des civilisations regorge d'exemples de sociétés qui, une fois guidée par la peur, ont amorcé leur déclin (je sais, j'adore Toynbee). Mais je reviendrai plus tard sur les raisons de mon désaccord.

Que dois-je reprocher à la manière dont la RTBF a analysé le sujet? Très simple : amalgame et exploitation à outrance des tensions internationales.

L'amalgame se situe dans les propos présentant le lancement du sujet. Le présentateur, François de Brigode affirme que derrière EDVIGE, se cacherait "selon les organisations protestataires, une redoutable machine de surveillance généralisée, allant (alliant?) des militants syndicaux aux homosexuels, en passant par les mineurs de treize ans susceptibles de troubler l'ordre public". EDVIGE, à ce que j'en sache, n'a pas pour intention de ficher toutes les personnes homosexuelles de France. Ce qu'aurait du expliquer le présentateur est qu'EDVIGE récoltera, à propos des personnes dont il suivra le parcours, des indications relatives, entre autres, aux orientations sexuelles de ces dernières. Bien sûr, François de Brigode pourrait indiquer que ce n'est pas la RTBF mais les "organisations protestataires" qui l'affirment (il précise en effet ceci dans l'introduction du sujet). Toutefois, on ne peut que regretter et condamner une telle imprécision sur un sujet qui mérite une réflexion posée et sereine.

L'exploitation à outrance, voire la manipulation du contexte de tensions internationales est flagrante à l'écoute des propos tenus par le commentateur lors du reportage. Il qualifie les renseignements généraux de "police politique française", rien de moins ! On voit parfaitement l'allusion qui sous-tend ce reportage. La crise entre l'Occident et la Russie (qui fait d'ailleurs l'objet d'un reportage dans la même édition) permet, très (voire trop) facilement de faire ressurgir les vieux démons des polices politiques secrètes de l'ancien bloc soviétique. Il est dès lors très tentant de rapprocher le débat français aux images que l'opinion conserve de la guerre froide. Et hop ! le tour est joué.

Revenons-en maintenant à EDVIGE. Si je n'apprécie nullement la façon dont le projet est rapporté par quelques médias (d'autres traitent, heureusement, le sujet de manière plus dépassionnée), je reste fermement opposé, je l'ai dit, à ce système. Ce qui m'insurge est la possibilité de ficher des jeunes dès treize ans sous prétexte que ceux-ci peuvent représenter des individus agissant dans une zone floue de la délinquance et que le Code pénal - si mes informations sont exactes - prévoit d'ores et déjà la possibilité d'un passage en correctionnelle dès cet âge (qu'on me corrige si je me trompe). Je constate 2 choses :

1. il semble que nos sociétés veulent réduire la durée de l'enfance à son plus strict minimum. Comment peut-on imposer à l'opinion publique l'idée qu'un enfant est systématiquement susceptible de délinquer? Bien sûr, cette possibilité existe. Et elle existera toujours, même avec EDVIGE ! Nous voyons donc que la solution n'est pas à trouver dans un fichage (mesure réactive qui traduit déjà un échec de la politique vis-à-vis de la jeunesse) mais bien dans l'éducation et la prévention qui, à dire vrai, ne suscitent pas autant de débats qu'EDVIGE ! Quelle est cette société qui ne sait quoi faire de ses enfants, sinon de la catégoriser dans des taxinomies réductrices?

2. la théorie de l'étiquetage est stupide (pardonnez cette familiarité) et dangereuse pour l'avenir de notre sécurité. En étiquetant des individus en rapport avec des actes qu'ils seraient seulement susceptibles de commettre (tiens, tiens, il y avait pas un roman de Philip K. Dick là-dessus???), et en concentrant les moyens policiers sur cette méthode, on risque de négliger l'étude prospective des formes de délinquance et de criminalité qui, demain, exploiteront les failles nouvelles de nos sociétés; failles que nos dispositifs n'auront pas été en mesure d'identifier. EDVIGE n'anticipe en aucune manière les nouvelles formes de délinquance. Elle ne peut, au mieux, que gérer, de manière sommaire, les conséquences de nos manquements et des sous-investissements dont ont été victimes, durant les vingt années passées, les mesures préventives, éducatives et de proximité.

Je terminerai, cependant, par une touche d'optimisme. La polémique qui entoure EDVIGE démontre, toutefois, qu'un réel dynamisme existe au sein de notre société. Cette dernière prouve qu'elle peut initier un vrai débat autour d'un projet vis-à-vis duquel ses membres ont soit des réticences soit des oppositions farouches. Et c'est là un signe de santé et de vitalité réel ! Contrairement à ce dont on essaie de nous convaincre, l'opinion citoyenne n'est pas dans un état de léthargie profond. Par contre, je me pose davantage de questions sur l'attitude des parlementaires qui, à la veille des vacances parlementaires, n'ont pas cru opportun d'amorcer un réel débat sur la question, laissant, dès lors, libre cours à la promulgation du décret le 1er juillet au journal officiel. Ce n'est pas de la léthargie, c'est un véritable coma politique auquel nous avons, sans le savoir, assisté !

lundi 8 septembre 2008

Rencontre Sarkozy-Medvedev: les convictions seules ne suffisent pas

En dépit de l'effort de communication mis en oeuvre par la Présidence française de l'Union européenne et les instances compétentes de l'UE en matière de politique étrangère, nul ne s'attendait réellement à ce que la rencontre entre le Président russe Dmitri Medvedev et le Préident français Nicolas Sarkozy puisse aboutir à de réelles avancées dans le conflit qui oppose la Géorgie à la Russie sur la question de l'intervention de Moscou et l'avenir des entités abkhaze et d'Ossétie du Sud, dernièrement reconnues par Moscou comme Etats indépendants.

La marge de manoeuvre de l'Union européenne - on l'a souvent répété - est des plus réduites. Et ce quelle que soit la stratégie qu'entendait défendre l'Union européenne. Le non-renouvellement du partenariat entre la Russie et l'Union européenne décidé en guise de "sanction" compte-tenu du comportement de Moscou sur le dossier caucasien ne semble pas susciter de réelles craintes du côté russe. On pouvait d'ailleurs bien se demander quelles allaient être les moyens de persuasion de l'UE dans cette crise. Convaincre Moscou par des promesses? cela aurait pu être envisagé. Mais avec quels moyens? Laisser peser sur Moscou l'ombre d'une menace (je sais, un mot à ce point barbare doit être rayé, sauf que je l'envisage au sein le plus pur des théories des RI)? Cela aussi aurait pu être envisagé... (vous connaissez la suite). Bref, les convictions seules ne suffisent pas. Et à la différence de l'UE, la Russie dispose d'une unicité (attention! loin d'être parfaite!) de vue sur les siennes et la manière de les mettre en oeuvre.

Ceci dit, il y a un réel bon sens objectif (je souhaite le croire) dans le refus très clair de Moscou de permettre à l'UE l'envoi d'une mission en Géorgie qui ne serait venue que rendre plus difficile la lecture des répartitions des tâches (si l'on suppose existante une telle répartition). C'est d'ailleurs l'une des principales difficultés à laquelle se heurtent aujourd'hui les processus de "résolution" des conflits dans la Région. Le Haut-Karabakh est, à ce titre un bon exemple. Le Groupe de Minsk, qui réunit un concert des principales nations européennes et transatlantiques, en vue d'aboutir à un règlement définitif du conflit a participé à l'enlisement de la crise, faisant de cette confrontation l'un des multiples conflits gelés d'Europe. Je ne crois pas - et j'imagine ne pas être le seul - que la multiplication des interventions et des missions puisse représenter un apport réel pour la stabilisation des zones de conflits aux limes de l'Europe. Celles-ci en finissent par constituer de nouveaux protagonistes dans des crises dont la complexité des acteurs pèse déjà sur les chances d'issue de ces conflits.

Renforcer les instruments préventifs de l'OSCE (et on sait que ces instruments sont tous autant nombreux que sous-financés) aurait pu constituer une solution plus prometteuse que de poursuivre une stratégie de résolution "utopique" des crises qui consiste démultiplier le nombre d'acteurs organisationnels sur le terrain.

vendredi 29 août 2008

Russia missile test heightens stand-off with West

 

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Russia missile test heightens stand-off with West

Certes, des informations complémentaires devront venir corroborer les faits relatés par cet éditorial. Rappelons, cependant, que ce type d'activité constitue une "gesticulation" dissuasive classique compte tenu de la frilosité grandissante des rapports entre la Russie et l'Occident. En outre, cet essai était très certainement prévu de longue date. Mais il est justement intéressant ici de constater qu'il n'y a eu aucune volonté d'apaiser le niveau de tension existant.

 

A suivre néanmoins...

mardi 26 août 2008

Les Cahiers du RMES - l'édition de l'été 2008 est en ligne

J'ai l'immense plaisir de vous signaler que la dernière livraison des Cahiers du RMES est enfin disponible en ligne à partir de notre site internet http://www.rmes.be.

Volume V, numéro 1, été 2008

Ce semestre, au sommaire :

Heated Terror: Exploration of the Possible Impacts of Climate Change  on The Causes and The Targets of terrorism

Par Thomas Renard

A l'heure du nouveau Livre Blanc et de la présidence française de l'UE, la France doit-elle réintégrer l'OTAN?

Par Pierre Pascallon

Les Etats-Unis et le nouvel ordre mondial émergent

Par Tanguy Struye de Swielande

Adaptation et contre-adaptation au défi du caractère évolutif de la guerre. Un aperçu des débats français

Par Joseph Henrotin

L'objet évanescent d'une théorie improbable: le terrorisme et les sciences sociales

Par Ami-Jacques Rapin

En vous souhaitant une agréable lecture !

Repenser nos relations avec la Russie

Une carte blanche en ligne du journal Le Monde, rédigée par Aleksander Kwasniewski, Président de la Pologne de 1995 à 2005, m'incite à réagir sur la question des rapports que nous devons désormais entretenir avec la Russie au lendemain du conflit qui a opposé cette dernière à la Géorgie.

Là où je rejoins l'ancien Président polonais, c'est lorsqu'il souligne le fait que la renaissance de la Russie ne constitue pas seulement le dessein d'une ou deux personnalités politiques (Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev) mais, plus globalement, une aspiration partagée par une grande majorité de la population. Cela étant, il ne faudrait en aucun cas sous-estimer la fascination que suscite l'Occident parmi la population et certaines de ses élites. Historiquement, comme le rappelle Arnold Toynbee, "Le défi de l'Occident a suscité deux réactions antithétiques" (A. Toynbee, L'Histoire, Paris, Bibliothèque historique Payot, 1996). "Une minorité zélote, sans importance politique, s'est opposée à l'intrusion de l'Occident. [...] L'hérodianisme enragé, à l'opposé [...]" a cherché à faire introduire la Russie dans le club des Occidentaux. Il serait, toutefois, une erreur de percevoir ces deux tendances comme une dichotomie parfaite. Le mouvement, qui fut surtout engagé par Pierre Le Grand, et qui visait le rapprochement de la Russie avec l'Occident avait pour objectif de préserver l'indépendance de la Russie et de sauvegarder la spécificité culturelle du pays. N'étant pas spécialiste de l'histoire et de la culture de Russie, je pense néanmoins qu'il serait bon que nous nous interrogions, aujourd'hui, sur la question de savoir si la politique conduite par l'Occident et les Etats de l'Alliance en particulier, n'a pas conduit à une "communion", ou une forme de "synchértisme" de ces deux tendances: le zélotisme (dans lequel la dimension religieuse joue un rôle majeur) ayant désormais acquis une importance politique et serait perçue comme la seule voie permettant à la Russie de s'inscrire dans le monde de demain.

Concernant l'influence de l'Europe et, plus exactement, la capacité de l'Union européenne à apaiser les tensions qui ont, in fine, conduit au déclenchement des hostilités, encore une fois, il nous faut partager le bilan dressé par Aleksander Kwasniewski. L'Union européenne a démontré qu'elle pouvait, dans certaines configurations de crises, se révéler inapte à freiner les velléités des parties, voire impuissante à prévenir la montée aux extrêmes. A dire vrai, ce constat vaut pour l'ensemble des organisations régionales de sécurité européennes (OSCE, OTAN, etc.).

De l'OTAN, ensuite, il en est aussi question. Je ne pense pas que les motivations qui ont conduit les Etats d'Europe de l'Est à rejoindre l'Alliance atlantique aient exclusivement relevé d'aspirations en vue de constituer un club de démocraties. Elles ont - et cela est normal et légitime - répondu au désir de sécurité de ces nouvelles et jeunes démocraties issues de l'après-guerre froide. Dans sa vision de l'expansion de l'OTAn (et de l'Union européenne), l'ancien Président polonais soulève (sans le savoir?) l'une des principales contradictions devant laquelle est confrontée l'Occident. L'auteur indique que si nous fermons la porte aux aspirations de pays désireux d'adhérer à ces deux organisations, nous risquons de violer le principe d'auto-détermination censé être la pierre angulaire de la nouvelle Europe. Et, par voie de conséquence, de créer une zone d'instabilité. Or, il convient, à notre avis, de reconnaître que ce sont précisément l'application et la mise en oeuvre de ce principe d'auto-détermination qui constitue le noeud gordien de la sécurité européenne. Doit-on limiter l'expression de cette volonté d'auto-détermination aux seuls Etats? Ou devons-nous reconnaître le droit à des peuples, des minorités, de décider de leur avenir, quitte à remettre en cause le dessin des frontières?

Enfin, je rejoindrai très certainement l'avis de l'auteur qui souligne la nécessité pour l'Europe de développer le volet stratégique de sa politique. Toutefois, je reste perplexe sur les chances de voir émerger l'unité nécessaire pour la mise en oeuvre d'une réelle stratégie. Durant la guerre froide et la période post-guerre froide, les Etats-Unis ont manifestement empêché qu'une réelle Europe stratégique puisse voir le jour (même si les divisions proprement européennes ont également pesées). Ils acceptent, aujourd'hui, de reconnaître l'autonomie d'action européenne (discours de l'ambassadeur des Etats-Unis, Victoria Nuland). Et ce, à l'heure même où la Russie réinvestit le champ stratégique européen. Il n'est pas sûr que l'Amérique contemporaine, gagnée par des mutations démographiques sans précédent, témoigne de la même ferveur dans ses rapports avec l'Europe. L'avenir de l'Europe stratégique dépendra désormais de la liberté de manoeuvre que pourrait ou pourrait ne pas nous laisser Moscou... Les relations internationales répondent, elles aussi, aux lois de la thermodynamique...