vendredi 22 août 2008

La "Défense" passe aussi par la défense des savoirs et des expertises

Un récent article paru sur le site Euractiv me paraît assez interpellant quant à la prise de conscience des autorités de la Commission européenne sur la protection des savoirs issus de la recherche scientifique européenne. L'auteur y évoque le projet pilote lancé ce 20 août par la Commission européenne, qui consiste à offrir un accès en ligne illimité aux résultats des recherches subventionnées par l'Union européenne. Selon les déclarations de la Commission, ce projet devrait permettre d'améliorer l'exploitation des études scientifiques tout en garantissant un "juste retour" pour les contribuables.

Je me souviens avoir assisté aux sessions en régions de l'IHEDN à un débat passionnant relatif à la notion de défense économique/intelligence économique (ces termes ne recouvrant pas exactement les mêmes réalités). J'y avais fait part de mes inquiétudes - partagées, cela dit, par un grand nombre de spécialistes - quant à la capacité de la Commission européenne de développer une culture de la sécurité et de la confidentialité dans la conduite de programmes tels que Galileo, GMES et le volet "espace et sécurité" du 7ème programme-cadre 2007 - 2013. Je dois avouer que l'initiative récente de la Commission ne fait que renforcer mes craintes à ce sujet. A priori, l'initiative peut apparaître louable et "transparente" vis-à-vis du contribuable qui est en droit d'exiger que lui soit indiqué les orientations prises par le budget du 7ème programme-cadre - budget auquel il contribue par truchement des structures fiscales nationales. C'est là, pourrait-on dire, une preuve évidente d'une Europe qui se veut démocratique et transparente vis-à-vis de ces citoyens. Fallait-il pour autant commencer la démocratisation - indispensable, j'insiste! - par le secteur de la recherche scientifique et technologique? Et ce, sans adjoindre à ce processus les mesures de protection nécessaires en matière de transferts des connaissances et des innovations (même si cette étape précise du processus ne s'avère pas directement concernée par le projet pilote de la Commission).

J'ai parfaitement conscience des bienfaits qu'une telle mesure pourrait apporter en termes d'avancées dans le secteur de la santé, par exemple (des spécialistes du domaine pourraient réaliser de meilleures argumentations que les miennes). Toutefois, il me semble difficile de pouvoir enfermer chaque secteur de la discipline scientifique dans une boîte hermétique en supposant, de façon naïve, que les apports d'une discipline ne puissent pas trouver des suites ou des applications dans d'autres domaines. La compétition scientifique qui s'engage depuis plus de 10 ans dans le secteur des technologies dites convergentes (nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l'information et des sciences cognitives) appelle à la plus grande prudence en matière de libre accès aux connaissances. Rappelons, d'ailleurs, que la Commission européenne avait en son temps décidé de réagir à cette course naissante en développant (en réponse à la Nanotechnology National Initiative américaine)

une stratégie européenne pour les nanotechnologies. Pourtant, elle n'a pas semblé prendre la mesure des enjeux sécuritaires de cette nouvelle course. Et même si le projet pilote apparaît, formellement en tous cas, en périphérie de ce débat, ce serait faire preuve d'une étroitesse d'esprit évidente que d'ignorer les connexions qui, en arrière-plan, relient ce domaine à la question plus vaste de l'existence ou de la non-existence d'une culture sécuritaire au sein de la Commission européenne.

S'agissant précisément des publications, un rapport réalisé, en 2006, par Angela Hullmann, Who Is Winning the Global Nanorace?, et paru dans la revue Nature Nanotechnology, faisait état des avancées opérées par le secteur scientifique chinois dans les produits scientifiques liées aux nanotechnologies. Le classement montrait, très clairement, le retard des Européens (en ordre dispersé) sur ce point.

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Avec l'existence du volet "Espace et sécurité" du 7ème programme-cadre, la Commission européenne se trouve confrontée à la difficulté de l'encadrement sécuritaire des résultats issus des recherches qu'elle subventionne. En facilitant de la sorte l'accès aux publications issues des travaux dans le domaine des TIC (domaine où, par essence, s'interpénètrent les intérêts de secteurs civils et militaires multiples), la Commission ne prête-elle pas le flancs à ses "coo-pétiteurs" (pour reprendre une terme qui exprime parfaitement l'ambiguïté des rapports de coopération et de compétition propres à ce domaine d'activités)?

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    en tant que "professionnel de l'information" (j'insiste sur les "", ce n'est que le nom moderne de documentaliste ou bibliothécaire), je me permets d'intervenir pour éclairer de mon opinion ce qui me semble être une confusion.
    Le projet européen de supporter (partiellement) le mouvement de l'accès libre (open access; voir Budapest Open Access Initiative ou Berlin Declaration on Open Access).

    Il s'agit surtout de restructurer les schémas financiers et technologiques des publications scientifiques.

    Il faut savoir qu'actuellement lorsque des scientifiques veulent communiquer des résultats, ils le font auprès d'éditeurs représentant des groupes financiers de plus en plus monopolistiques. Les chercheurs sont "obligés" de publier via ces médias pour maintenir leur réputation et de là garantir le financement de leurs études et institutions et la continuité de leur carrière (en rapport avec le facteur d'impact des publications; "publish or perish").

    Cependant, les coûts d'accès à ces informations ont subi une augmentation presque exponentielle depuis les années 90. Beaucoup d'institutions de recherche (universitaire ou non, public ou privée) n'arrive plus à suivre cette inflation ce qui réduit le taux de diffusion et d'accessibilité de ces informations et un décrochage qualitatif des recherches effectuées puisque "coupées" de certaines sources d'informations.
    Cette situation comporte également un paradoxe difficilement justifiable : l'écrasante majorité des contenus de ces publications onéreuses sont le résultat de recherche financées par le contribuable et il faut en plus dépenser de plus en plus d'argent (le plus souvent public) pour acheter le droit d'accès ultérieur à ces informations.
    L'inexistence de moyens de diffusion crédible alternatif aux grands éditeurs à accélérer ce processus.
    C'est à cette situation que les technologies de la communication et la "philosophie" de l'"accès libre tentent d'apporter sinon une réponse du moins une alternative:
    - Créer des outils informatiques de diffusion de données et d'articles scientifiques à portée locale, nationale et internationale (mot-clé : institutional repository).
    - repenser le financement des publications (idée: on inclut le coût complet de publication dans le budget de rechercher et ainsi l'accès pour tous est déjà pré-payé)
    - institutionnaliser/formaliser des mandats (comprenez des règles contraignantes) qui s'applique aux chercheurs financés par l'argent publique (ex: obligation de publier dans un contexte "open access" au plus tard un an après la publication dans une revue payante traditionnelle).

    Pour conclure, l'Open Access n'a strictement rien à voir avec une quelconque politique de sécurité des résultats de recherches puisqu'elle n'interfère que lorsque la décision de publier les résultats a été prise (elle n'oblige pas à ouvrir les coffres-fort , ni à cesser de communiquer via des canaux cryptés ;) ).
    Elle n'a rien à voir avec le recul ou l'augmentation de la portée des brevets (rappel : un brevet doit être accompagné d'une publication même sous une forme très mesurée, opacifiée).

    je m'inquiète beaucoup plus du fait que 50% des étudiants chinois étudiant dans mon institution sont candidats à un doctorat dans nos laboratoires de sécurités informatiques qui sont contractant auprès de l'industrie privée...

    J'ajoute une anecdote semi-comique: j'ai eu en main trois thèses de doctorats d'étudiants irakiens défendues en Belgique dans les années 70 qui traitaient de diverses propriétés physico-chimiques de l'uranium...

    Vous avez dit politique de sécurité?

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  2. Cher ami,

    Un IMMENSE mercis pour ces informations et ces corrections !

    J'y vois plus clair à présent ! S'agissant des anecdotes que vous mentionnez, effectivement, il y a tout lieu de s'interroger sur les modalités de certains accords d'échange. C'étaient là des discussions que nous avions eu l'occasion d'avoir à l'IHEDN avec un représentant d'un "organisme de haute sécurité étatique" si je peux me faire comprendre d ela sorte sans le citer ;-)

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