Preuve que certains de nos députés (et, croyez-bien qu’ils sont nombreux) s’affairent aussi sur les dossiers internationaux (même si ce type de sujet semble moins médiatisé que les dissensions communautaires de notre pays), plusieurs questions parlementaires m’ont été transmises qui ont pour objet l’évolution de la situation dans l’Arctique et les enjeux stratégiques émergents dans la région.
Avertissement : Les éléments de réponse qui figurent ci-dessous reprennent les informations “synthétiques” que j’ai transmises pour traitement. Elles découlent des analyses conduites par quelques experts de la question. Les réponses qui seront fournies par les services intermédiaires à nos parlementaires ne reprendront sans doute pas, avec exactitude, le contenu qui y figure.
Quelles sont les nouvelles routes maritimes qui se développeront autour du pôle Nord ?
Deux routes maritimes se développeront dans la région du pôle Nord (Figure 1 : carte des nouvelles routes du Grand Nord)
- le passage du Nord Ouest (au Nord du Canada), qui fut pour la première fois dans l’Histoire ouvert à la navigation maritime en date du 21 août 2007.
- La route des mers septentrionales (au Nord de l’Eurasie)
Figure 1 : le passage du Nord Ouest
Figure 2 : le passage du Nord Ouest (en rouge) et le passage par le Canal de Panama (en vert)
Seule inconnue (ou incertitude) : le temps et l’intensité future de la déglaciation. D’après des études récentes, on a assisté entre 1978 et 1996 à une diminution estivale de 17,6% de la calotte glacière tous les dix ans au niveau de la Mer de Barents et de la Mer de Kara. Cette diminution est de l’ordre de 3,7% pour les Mers de Chukchi, de Sibérie orientale et de Laptev. Entre 1978 et 1998, une réduction de 40% de la densité de glace de la calotte polaire a été observée.
Les plus récentes analyses sur l’évolution de la réduction de la calotte polaire divergent. Ceci en raison de la complexité des facteurs qui participent à la déglaciation (réchauffement global, quantités, périodisation et effets des précipitations). Toutes s’accordent cependant sur la perspective d’une diminution de la calotte glacière. L’hypothèse d’un maintien de la masse glacière arctique est écartée. Le scénario du pire est une disparition complète de la couverture glacière du pôle Nord entre 2040 et 2060. Ce qui ferait de l’Arctique une nouvelle mer intérieure située, qui plus est, entre les principales puissances de la planète (à l’instar de la Méditerranée durant l’âge d’or européen).
L’exploitation de ces routes est problématique. D’importants problèmes de sécurité liés à la dérive des glaces (icebergs de plusieurs kilomètres) risquent d’affecter l’exploitation économique (pêche, transport maritime, exploitation des gisements pétroliers et gaziers). Ces icebergs pourraient également endommager les infrastructures portuaires des régions riveraines existantes ou projetées.
Figure 3 : carte des nouvelles routes du Grand Nord
Quelles sont les postures exactes des Etats riverains vis-à-vis de l’ouverture des passages du Grand Nord ? Quelles sont les prétentions de ces Etats sur ses routes ? Quelles sont les revendications territoriales relatives aux plateaux continentaux ?
Russie :
La Russie considère l’Arctique comme une réserve naturelle légitime.
Elle entend démontrer l’appartenance de la dorsale de Lomonosov au plateau continental russe (cf. expédition du mois de juillet 2007 d’un sous-marin de poche avec deux membres de la Douma à son bord).
Intérêt stratégique évident. Proviennent de l’Arctique :
a. 90% de son gaz
b. 60% de son pétrole
c. 90% du nickel et du cobalt
d. 60% du cuivre
e. 98% des métaux de platine
En outre, les estimations relatives aux réserves énergétiques non-découvertes en Arctique équivaudraient à 375 milliards de barils (pour info, les estimations relatives aux réserves restantes de l’Arabie saoudite s’élèvent à 261 milliards de barils).
Projet initié par Gazprom et LUKoil pour le développement de brise-glaces à propulsion nucléaire.
La Russie entend redéposer en 2009 une demande de reconnaissance de la souveraineté russe sur la dorsale de Lomonosov auprès des Nations Unies au niveau de la Commission des limites du plateau continental.
Etats-Unis:
Les Etats-Unis manifestent un intérêt marqué pour l’Arctique, notamment dans ses aspects stratégiques et militaires (impact de la déglaciation arctique sur sa stratégie navale).
Les Etats-Unis ont refusé de ratifier la convention de Montego Bay (tandis que la Russie a procédé à sa ratification en 1997). Conséquence : cette non-ratification empêche les Etats-Unis de faire valoir leurs prétentions sur la zone se situant à quelque 600 km des côtes de l’Alaska.
Envoi d’une patrouille des U.S Coast Guards en date du 6 août 2007 (au lendemain de l’expédition russe) pour une durée de quatre semaines aux abords du pôle Nord.
L’U.S. Navy a organisé en 2001 et 2007 deux colloques sur les conséquences de la déglaciation polaire (cf. sources bibliographiques).
Canada :
Prétentions canadiennes sur le passage du Grand Nord affirmées depuis 1946. Selon les autorités de l’époque, une large part de l’Arctique appartiendrait au Canada.
Ottawa rejette donc les prétentions de Moscou.
La souveraineté canadienne dans l’Arctique a été réaffirmée en juillet 2007 par le Premier ministre Stephen Harper.
Le Canada a organisé plusieurs exercices militaires dans le Grand Nord et en Arctique. Il prévoit la construction d’un port en eaux profondes à Nanisivik. Six à sept navires de patrouilles spécifiquement conçus pour le contrôle de ce que le Canada considère comme ses mers intérieures est prévu (budget estimé à 7 milliards de dollars sur 25 ans).
Danemark :
Danemark en opposition avec la Russie concernant la souveraineté sur la dorsale de Lomonosov qu’elle considère comme liée au Groenland.
Un budget de 25 millions de dollars a été engagé en 2004 pour financer des recherches géologiques destinées à apporter la preuve scientifique du rattachement du Groenland à la dorsale de Lomonosov.
Selon des informations récentes, le Danemark aurait bon espoir d’obtenir satisfaction à des demandes.
Quels sont les conflits potentiels pouvant résulter de l’ouverture des nouvelles voies de passage du Grand Nord ?
Avant tout, il est important de considérer que la navigation, l’exploitation économique de ces passages sera particulièrement risquée en raison de la dérive des masses glacières résultant de la fonte de la calotte polaire. Toute hypothèse de conflit nous projette, dès lors, si nous suivons le scénario du pire, à une date au-delà de 2040.
Néanmoins, des disputes existent d’ores et déjà ou se révéleront plus prégnantes dans les années à venir. Elles concernent : le passage du Grand Nord (aucun Etat ne reconnaît au Canada la souveraineté qu’elle prétend être en droit d’exercer sur cette zone), l’île de Hans (Canada vs Norvège), Mer de Barents (Norvège vs Russie mais accord partiel conclu en 2007), le Spitzberg (Russie vs Norvège, non réglé), le Détroit de Béring (Etats-Unis vs Russie, accord intervenu en juin 1990 mais non-ratifié par les deux protagonistes).
Quelles sont les bases et activités militaires dans la région ?
Russie:
En juillet 2007, la flotte russe du Nord a procédé à des exercices de grand envergure (avec tirs réels depuis les navires de surfaces, aéronefs de l’aéronavale et de l’infanterie de marine). Les forces armées russes procèdent également au test de missiles en conditions polaires.
On note également le survol opéré par des bombardiers à long rayon d’action SU-24.
On ajoute également un accroissement des activités des bases militaires russes de Tiksi, Vorkuta et Anadyr.
Etats-Unis:
Les Etats-Unis envisagent l’adaptation de leurs capacités militaires aux conditions arctiques (dans le cadre d’une zone arctique dépourvue de glaces).
Objectifs : tester la résistance et l’opérabilité des systèmes d’armes (existants et futurs) dans des conditions de froid extrêmes ; tester l’opérationnalité des dispositifs de communications et de radionavigation dans des latitudes élevées ; anticipation des modèles de prévision des conditions climatiques et atmosphériques dans un environnement dynamique – développement de plates-formes militaires (aériennes et navales) adaptées aux conditions d’évolution en milieu arctique[1].
Sources bibliographiques principales
Naval operations in an Ice-free Arctic Symposium, 17 – 18 April 2001, Final report, Office of Naval Research, National (previouslu known as “Naval”) Ice Center, Oceanographer of the Navy and the Arctic Research Commission, 2001.
DUFOUR, J., « L’Arctique, un espace convoité : la militarisation du Nord canadien », Géopolitique et militarisation du Grand Nord Canadien (1ère partie), Mondialisation.ca, 26 juillet 2007, cf. http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=6404.
RENARD, T., "Climate Change and International Security: Understanding a Complex Relationship in Order to Forecast Future Conflicts (2007-2030)", Report for the Assistant Chief of Staff Strategy, Belgian Armed Forces, July 31, 2007
SMITH, M. A. & GILES, K., The Last Dash North, Advanced Research and Assessment Group, Defence Academy of the United Kingdom, Russian Series, 07/26, September 2007.
[1] Il est raisonnable de penser que des investissements croissants seront consentis aux recherches scientifiques dans le domaine des matériaux et de l’amélioration de leur résistance et invariance aux conditions climatiques. Les nanosciences et les nanotechnologies seront, très certainement, l’un des principaux fers de lance de ces recherches.