mercredi 20 août 2008

Vers une nouvelle conférence sur la sécurité collective européenne ?

Comme je l’avais indiqué dans un billet précédent, l’une des principales forces de la Russie en matière de politique étrangère est d'être capable de tirer parti des opportunités que lui offrent les événements. Ainsi, la Russie avait, certes, exercé des pressions de divers ordres sur la Géorgie s’agissant de l’avenir du territoire d’Ossétie du Sud mais n’aurait jamais imaginé que l’impulsivité du Président géorgien conduise de façon aussi prématurée et précipitée au lancement d’opérations militaires destinées à rétablir le contrôle de Tbilissi sur cette région.

Un autre exemple de cette habileté peut être trouvé dans le projet d’« architecture européenne de sécurité » présenté, au mois de juillet dernier, par l’ambassadeur de la Russie, Dimitri Rogozine, auprès de ces homologues à l’OTAN. Faut-il s’en étonner, la proposition russe n’avait alors pas suscité d’intérêt particulier dans le chef des médias. Et les récents événements en Géorgie tendent à voiler le contenu (encore imprécis, avouons-le !) de ce projet quand ils n’entrent pas en contradiction complète avec la portée que l’on pourrait raisonnablement lui prêter. Car, l’idée de Moscou consistait précisément à organiser un sommet durant lequel les États européens, les Etats d’Amérique du Nord et d’Eurasie viendraient à discuter des mécanismes à instaurer en vue d’établir, de Vancouver à Vladivostok, un cadre de sécurité globale où chaque Etat discuterait d’égal à égal.

Quoi de neuf me direz-vous ? En effet, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OCSE, l’ancienne CSCE née de l’Acte final d’Helsinki du 1er août 1975) est censée incarner un tel projet de prévention des conflits à l’échelle paneuropéenne. En outre, la proposition russe du mois de juillet, dont on espère plus obtenir davantage de précisions dans les mois à venir, ne faisait aucune mention du rôle spécifique qu’il conviendrait à attribuer à l’Alliance atlantique et à l’OTAN. Quel était donc le but de la manœuvre russe ? Quelle relation entretient-elle avec les événements contemporains?

En réalité, cette récente proposition s’inscrit dans une tradition diplomatique russe que l’on peut raisonnablement faire remonter à Nicolas II et à sa Conférence de La Haye sur le désarmement (je sais, c'est loin, mais sans qu'il s'agisse de tomber dans l'Historisme, il nous faut sortir du "culte de l'urgence" et réfléchir dans le "temps long" pour reprendre une expression de Fernand Braudel). La philosophie qui a, depuis lors, guidé les diverses invitations diplomatiques émises par la Russie vis-à-vis de ses partenaires européens à toujours répondu à quatre objectifs :

  1. prévenir le risque d’une isolation de la Russie du Concert des nations européennes ;
  2. empêcher une course aux armements qui se révélerait, à terme, défavorable à l’influence russe en Europe ;
  3. établir un cadre de sécurité collective juridiquement contraignant (ce que n’est pas l’OSCE, à l’exception toutefois de la Cour de Conciliation et d’Arbitrage jamais mise en œuvre à ce jour) ;
  4. exclure, dans la mesure du possible, tout État étranger à l’ensemble de l’Eurasie et de son isthme européen (ceci afin de permettre à Moscou de disposer d’une influence dominante). C’est également à l’aune de cette caractéristique que l’on mesure sans doute le peu de cas qui était fait par la proposition quant au rôle futur de l’OTAN.

Quoi qu’il en soit, l’idée développée par le Kremlin reste pour le moins – volontairement ? – imprécise. Elle tend, toutefois, à rappeler les multiples ballons d’essai émis par le passé par la Russie tsariste et, après elle, l’Union soviétique (au lendemain de la Seconde Guerre mondiale). Ainsi, la Conférence de La Haye sur désarmement avait-elle pour objectif (à peine voilé) de freiner les réarmements navals britannique et allemand. En 1954, la Conférence quadripartite initiée par Molotov était-elle destinée à empêcher le réarmement de l'Allemagne fédérale et la perspective d’une entrée de cette dernière dans l’OTAN (la création en 1955 du Pacte de Varsovie et l’échec de la Communauté européenne de défense en 1954 avait précisément conduit à la réalisation concrète des craintes de Moscou).

Quels pourraient être demain les objectifs de Moscou à travers cette proposition, alors même que la crise en Géorgie reste latente ? Ils sont multiples :

  1. reprendre l’initiative politique sur la question de l’avenir de la sécurité européenne en proposant un concept « d’architecture de sécurité » abandonné par les Européens à la fin des années 1990 ;
  2. tenter d’assainir les axes de dialogue entre Moscou et les capitales européennes sur un ensemble de dossiers clés pour lesquels la Russie estime ne pas avoir été consultée comme il se le devait. Ce sont, bien sûr, les dossiers de la Défense antimissile, de l’élargissement de l’Alliance atlantique et de la renégociation du Traité sur les forces conventionnelles en Europe qui sont ici visées ;
  3. rechercher parmi les capitales européennes les oreilles les plus attentives aux doléances russes. Analogie remarquable, c’est en de la part de l’Italie que la diplomatie russe pourrait recevoir un premier signe (en juillet 1966, la démarche d'Andrei Gromyko destinée à organiser une conférence sur la sécurité européenne avait été, dans un premier temps, trouvé une oreille attentive auprès de l'Italie).

Le projet présenté par la Russie à l'OTAN ne constitue, à dire vrai, que la suite logique des dissensions qui étaient apparues depuis 1999 au sujet du rôle de l'OSCE en matière de sécurité européenne. Moscou a toujours souhaité privilégier le cadre de l'OSCE comme forum de dialogue et d'action pour le traitement des conflits en Europe, tandis que les États-Unis s'employaient à empêcher sur l'enceinte de sécurité paneuropéenne ne puisse devenir une concurrente de l'Alliance. L'OSCE est aujourd'hui perçue par la Russie comme une organisation essentiellement pro-occidentale. Aussi, il est utile d'indiquer que la Russie ne redoute pas seulement l'arrivée à ses portes de l'OTAN, elle estime aussi avoir perdu l'OSCE.

Et la Géorgie? En dehors de la rhétorique, il n'existe plus, en Europe, de cadre politique ou juridique efficace (et étendu à l'ensemble de l'Eurasie!) qui puisse mettre en oeuvre des instruments diplomatiques susceptibles d'apaiser et résoudre les crises. Ce jugement, il est vrai, est pour le moins tranché. Mais à bien y regarder, il convient de reconnaître que le contrôle des crises s'opère avant tout à l'aide moyens de défiance et non de confiance. Le conflit en Géorgie est la première guerre de cette ère nouvelle et incertaine.

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