mercredi 10 septembre 2008

La polémique EDVIGE rapportée par la RTBF

Reuters

Une fois n'est pas coutume, je m'intéresserai, dans ce billet, au fichier/logiciel EDVIGE, le fameux fichier de renseignement systématisé qu'entend mettre en oeuvre la France. Plus exactement - et je m'excuse auprès des non-belges qui me font l'honneur de consulter mon blog - je me pencherai sur la façon dont le projet français a été rapporté et analysé par la radio-télévision publique belge francophone, la RTBF.

Car je crois qu'il y a dans le reportage qui a été présenté en date du 9 septembre (édition télévisée du soir) une extraordinaire méconnaissance - je ne dirai pas "manipulation" - de ce que constitue exactement EDVIGE.

Avant d'entrer plus en matière, que l'on me permette de mettre les points sur les "i". Je m'oppose résolument à la mise en place d'un tel fichier. Je reste persuadé que l'instauration d'un système de renseignement semblable exprime le malaise d'une société guidée politiquement par la peur. Or, l'histoire des civilisations regorge d'exemples de sociétés qui, une fois guidée par la peur, ont amorcé leur déclin (je sais, j'adore Toynbee). Mais je reviendrai plus tard sur les raisons de mon désaccord.

Que dois-je reprocher à la manière dont la RTBF a analysé le sujet? Très simple : amalgame et exploitation à outrance des tensions internationales.

L'amalgame se situe dans les propos présentant le lancement du sujet. Le présentateur, François de Brigode affirme que derrière EDVIGE, se cacherait "selon les organisations protestataires, une redoutable machine de surveillance généralisée, allant (alliant?) des militants syndicaux aux homosexuels, en passant par les mineurs de treize ans susceptibles de troubler l'ordre public". EDVIGE, à ce que j'en sache, n'a pas pour intention de ficher toutes les personnes homosexuelles de France. Ce qu'aurait du expliquer le présentateur est qu'EDVIGE récoltera, à propos des personnes dont il suivra le parcours, des indications relatives, entre autres, aux orientations sexuelles de ces dernières. Bien sûr, François de Brigode pourrait indiquer que ce n'est pas la RTBF mais les "organisations protestataires" qui l'affirment (il précise en effet ceci dans l'introduction du sujet). Toutefois, on ne peut que regretter et condamner une telle imprécision sur un sujet qui mérite une réflexion posée et sereine.

L'exploitation à outrance, voire la manipulation du contexte de tensions internationales est flagrante à l'écoute des propos tenus par le commentateur lors du reportage. Il qualifie les renseignements généraux de "police politique française", rien de moins ! On voit parfaitement l'allusion qui sous-tend ce reportage. La crise entre l'Occident et la Russie (qui fait d'ailleurs l'objet d'un reportage dans la même édition) permet, très (voire trop) facilement de faire ressurgir les vieux démons des polices politiques secrètes de l'ancien bloc soviétique. Il est dès lors très tentant de rapprocher le débat français aux images que l'opinion conserve de la guerre froide. Et hop ! le tour est joué.

Revenons-en maintenant à EDVIGE. Si je n'apprécie nullement la façon dont le projet est rapporté par quelques médias (d'autres traitent, heureusement, le sujet de manière plus dépassionnée), je reste fermement opposé, je l'ai dit, à ce système. Ce qui m'insurge est la possibilité de ficher des jeunes dès treize ans sous prétexte que ceux-ci peuvent représenter des individus agissant dans une zone floue de la délinquance et que le Code pénal - si mes informations sont exactes - prévoit d'ores et déjà la possibilité d'un passage en correctionnelle dès cet âge (qu'on me corrige si je me trompe). Je constate 2 choses :

1. il semble que nos sociétés veulent réduire la durée de l'enfance à son plus strict minimum. Comment peut-on imposer à l'opinion publique l'idée qu'un enfant est systématiquement susceptible de délinquer? Bien sûr, cette possibilité existe. Et elle existera toujours, même avec EDVIGE ! Nous voyons donc que la solution n'est pas à trouver dans un fichage (mesure réactive qui traduit déjà un échec de la politique vis-à-vis de la jeunesse) mais bien dans l'éducation et la prévention qui, à dire vrai, ne suscitent pas autant de débats qu'EDVIGE ! Quelle est cette société qui ne sait quoi faire de ses enfants, sinon de la catégoriser dans des taxinomies réductrices?

2. la théorie de l'étiquetage est stupide (pardonnez cette familiarité) et dangereuse pour l'avenir de notre sécurité. En étiquetant des individus en rapport avec des actes qu'ils seraient seulement susceptibles de commettre (tiens, tiens, il y avait pas un roman de Philip K. Dick là-dessus???), et en concentrant les moyens policiers sur cette méthode, on risque de négliger l'étude prospective des formes de délinquance et de criminalité qui, demain, exploiteront les failles nouvelles de nos sociétés; failles que nos dispositifs n'auront pas été en mesure d'identifier. EDVIGE n'anticipe en aucune manière les nouvelles formes de délinquance. Elle ne peut, au mieux, que gérer, de manière sommaire, les conséquences de nos manquements et des sous-investissements dont ont été victimes, durant les vingt années passées, les mesures préventives, éducatives et de proximité.

Je terminerai, cependant, par une touche d'optimisme. La polémique qui entoure EDVIGE démontre, toutefois, qu'un réel dynamisme existe au sein de notre société. Cette dernière prouve qu'elle peut initier un vrai débat autour d'un projet vis-à-vis duquel ses membres ont soit des réticences soit des oppositions farouches. Et c'est là un signe de santé et de vitalité réel ! Contrairement à ce dont on essaie de nous convaincre, l'opinion citoyenne n'est pas dans un état de léthargie profond. Par contre, je me pose davantage de questions sur l'attitude des parlementaires qui, à la veille des vacances parlementaires, n'ont pas cru opportun d'amorcer un réel débat sur la question, laissant, dès lors, libre cours à la promulgation du décret le 1er juillet au journal officiel. Ce n'est pas de la léthargie, c'est un véritable coma politique auquel nous avons, sans le savoir, assisté !

lundi 8 septembre 2008

Rencontre Sarkozy-Medvedev: les convictions seules ne suffisent pas

En dépit de l'effort de communication mis en oeuvre par la Présidence française de l'Union européenne et les instances compétentes de l'UE en matière de politique étrangère, nul ne s'attendait réellement à ce que la rencontre entre le Président russe Dmitri Medvedev et le Préident français Nicolas Sarkozy puisse aboutir à de réelles avancées dans le conflit qui oppose la Géorgie à la Russie sur la question de l'intervention de Moscou et l'avenir des entités abkhaze et d'Ossétie du Sud, dernièrement reconnues par Moscou comme Etats indépendants.

La marge de manoeuvre de l'Union européenne - on l'a souvent répété - est des plus réduites. Et ce quelle que soit la stratégie qu'entendait défendre l'Union européenne. Le non-renouvellement du partenariat entre la Russie et l'Union européenne décidé en guise de "sanction" compte-tenu du comportement de Moscou sur le dossier caucasien ne semble pas susciter de réelles craintes du côté russe. On pouvait d'ailleurs bien se demander quelles allaient être les moyens de persuasion de l'UE dans cette crise. Convaincre Moscou par des promesses? cela aurait pu être envisagé. Mais avec quels moyens? Laisser peser sur Moscou l'ombre d'une menace (je sais, un mot à ce point barbare doit être rayé, sauf que je l'envisage au sein le plus pur des théories des RI)? Cela aussi aurait pu être envisagé... (vous connaissez la suite). Bref, les convictions seules ne suffisent pas. Et à la différence de l'UE, la Russie dispose d'une unicité (attention! loin d'être parfaite!) de vue sur les siennes et la manière de les mettre en oeuvre.

Ceci dit, il y a un réel bon sens objectif (je souhaite le croire) dans le refus très clair de Moscou de permettre à l'UE l'envoi d'une mission en Géorgie qui ne serait venue que rendre plus difficile la lecture des répartitions des tâches (si l'on suppose existante une telle répartition). C'est d'ailleurs l'une des principales difficultés à laquelle se heurtent aujourd'hui les processus de "résolution" des conflits dans la Région. Le Haut-Karabakh est, à ce titre un bon exemple. Le Groupe de Minsk, qui réunit un concert des principales nations européennes et transatlantiques, en vue d'aboutir à un règlement définitif du conflit a participé à l'enlisement de la crise, faisant de cette confrontation l'un des multiples conflits gelés d'Europe. Je ne crois pas - et j'imagine ne pas être le seul - que la multiplication des interventions et des missions puisse représenter un apport réel pour la stabilisation des zones de conflits aux limes de l'Europe. Celles-ci en finissent par constituer de nouveaux protagonistes dans des crises dont la complexité des acteurs pèse déjà sur les chances d'issue de ces conflits.

Renforcer les instruments préventifs de l'OSCE (et on sait que ces instruments sont tous autant nombreux que sous-financés) aurait pu constituer une solution plus prometteuse que de poursuivre une stratégie de résolution "utopique" des crises qui consiste démultiplier le nombre d'acteurs organisationnels sur le terrain.