samedi 24 janvier 2009

Parution prochaine : Gazprom – l’idéalisme européen à l’épreuve du réalisme russe

Comme je vous l’avais déjà annoncé, mon confrère, Pol-Henry Dasseleer publie prochainement chez L’Harmattan une étude solide sur les rapports Europe-Russie dans le cadre du marché gazier. Il aborde, au-delà, des aspects commerciaux et économiques du sujet, les dimensions géopolitiques (sans doute premières) et stratégiques de la dépendance, mutuelle (il faut bien le reconnaître) de l’Europe et de la Russie dans ce secteur.

Couverture-GAZPROM---PHDNous avons davantage d’informations sur ce prochain opus puisque j’ai le plaisir de vous en livrer la couverture. Soyez donc attentifs lorsque vous parcourrez ces prochains mois les librairies spécialisées.

Pol-Henry Dasseleer, GAZPROM : l’idéalisme européen à l’épreuve du réalisme russe, Paris, L’Harmattan, 2009, ISBN : 978-2-26-07369-2. L’ouvrage sera vendu à 16 €.

jeudi 22 janvier 2009

Nanotechnologies : entre prophéties et recherche

C'est en parcourant aléatoirement la toile sur l'une de mes thématiques d'investigation de prédilection, "les nanotechnologies", que je suis tombé sur un débat intéressant qui anime depuis quelques années les milieux scientifiques américains sur la question précise de la politique américaine en matière de soutien à la recherche nanotechnologique. Un edito, datant de 2004, rédigé par l'équipe rédactionnelle de la revue The New Atlantis: A Journal of Technology & Society revient sur le schisme qui est apparu au sein de la communauté des chercheurs concernés par le développement des nanotechnologies (NT).
 
Dans une approche "Latourienne", relativement comparable à la question de "la production des faits scientifiques" il pourrait être affirmé que les activités liées au "développement" des nanotechnologies (je ferai d'ailleurs l'impasse sur les tergiversations afférant à la dénomination de cette discipline) n'entretiennent qu'un faible rapport avec ce qui relève, sensu stricto, de la science. Pour The New Atlantis, les accroissements constants de budgets en faveur des NT (le budget de la National Nanotechnology Initiative, pour 2009, devrait avoisiner les $1,5 milliards) opérés depuis bientôt dix ans ont pour le moins de quoi étonner dans la mesure où ces montants soutiennent une technologie qui, pour l'heure, n'a pas été pleinement prouvée et pourrait même être considérée comme pratiquement non-existante. Certes, des composants issus des premières recherches dans le domaine des NT envahissent déjà un grand nombre de produits et de consommables (cosmétique, pharmacologie, informatique, etc.). Néanmoins, on semble assez loin des grandes promesses annoncées par Eric K. Drexler (Engines of Creation) dans lequel, en 1986, il annonçait l'imminence de l'ère des "nano-assembleurs", tout dans un futur indéterminé devant être appelé à être fabriqué, développé, entretenu par des manufactures nanométriques auto-répliquantes et auto-organisées.
 
L'une des principales difficultés à laquelle est aujourd'hui confrontée la communauté scientifique américaine est que c'est précisément dans les prophéties émises par Drexler que nombre de chercheurs et de politiques ont placé leurs espoirs. Comble de l'ironie, ceux qui, au sein de la communauté scientifique tentent de démonter les arguments de Drexler ont quelque réticences à se démarquer de ce dernier. En effet, jamais sans doute la recherche nanotechnologique aux Etats-Unis n'aurait amassé autant de fonds si l'auteur d'Engines of Creation ne s'était engagé corps et âme dans une intense activité de sensibilisation et de lobby en faveur des NT.
 
Quel rapport avec les affaires de sécurité, me direz-vous? Il est évident lorsque l'on connait le principal bénéficiaire de la NNI : le Département de la Défense (DoD). En outre, il est utile de précisr que toute l'histoire de la pensée scientifique de l'après guerre qui a progressivement conduit à l'émergence des nanotechnologies (le terme n'apparaîtra qu'au milieu des années 1970) est, de près ou de loin (qui aurait imaginé le contraire?) liée au domaine de la défense. Aujourd'hui, l'Armée de terre et le MIT sont associés dans le cadre de l'Institute for Soldier Nanotechnologies pour le développement de solutions nanostructurées pour la protection du combattant. Cet Institut est l'arbre, toutefois, qui cache une forêt constituée de divers laboratoires investis de manière directe ou indirecte dans ce secteur de recherche.
 
Quid de l'Europe, me direz-vous? L'approche européenne semble a priori plus raisonnée et sereine (même si la stratégie européenne en faveur des nanotechnologies semble s'appuyer sur des perspectives de rentabilités financières à venir qui ne résisteraient pas à un examen approfondi). En dehors du 7ème programme cadre pour la R&D européenne qui palce les nanosciences et l'étude des matériaux parmi les principaux domaines subsidiés, l'Agence européenne de défense a lancé un nouveau programme d'investissement conjoint (Joint Investment Program - JIP) sur les nouveaux concepts en matière de technologies émergentes (Innovative Concepts & Emerging Technologies - ICET). Cet effort s'inscrit dans la droite ligne de l'approche qui a, précédemment, guidé le premier JIP sur la protection des forces et du combattant. Les sommes investies sont, à l'évidence, peu comparables avec les dépenses consenties par les Etats-Unis mais ne dit-on pas que les ruptures stratégiques n'interviennent pas nécessairement au sein des Etats qui prétendent y parvenir les premiers?
 
PS : pour info, un rapport d'étude que je rédige pour le compte de l'Institut Royal Supérieur de Défense paraîtra à la fin du mois de février et portera sur une analyse comparative des agances, structures et budgets de la recherche nanotechnologique contemporaine.

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Alain De Neve

mercredi 21 janvier 2009

On reparle du système de sécurité paneuropéen...

Signe des temps et conséquence logique de la crise (ou de "guerre" selon les auteurs) du gaz de ce mois de janvier, l'idée de l'établissement d'un système de sécurité paneuropéen englobant la Russie refait surface. Le blog Bruxelles 2 (Europe de la défense) fait ainsi l'écho à la libre opinion développée par l'ancien ministre allemand des affaires étrangères Joschka Fischer. Je renvoie les lecteurs à cette carte blanche.
 
Ce que propose Joschka Fischer est, "tout simplement", l'établissement, sinon la refondation, d'un véritable ensemble sécurité européen qui englobe la Russie. C'est là une vieille idée qui, comme je le signalais déjà l'été dernier, ressurgit de manière régulière dans la politique étrangère de la Russie. Bien que l'idée soit partagée depuis longtemps par quelques Européens, il est, néanmoins, intéressant de constater que le relais de ce concept de sécurité paneuropéenne soit désormais expressément véhiculé par un ancien haut-responsable européen surtout lorsque ce haut-responsable a représenté tout un symbole dans les années 1990.
 
L'ancien ministre allemand des affaires étrangères dresse, à dire vrai, un état des lieux relativement équilibré et critique des avantages auxquels pourrait aboutir un tel système, s'il devait exister, sans, cependant, nier les obstacles majeurs qui viendraient à se dresser sur le chemin qui pourrait éventuellement y mener.
 
Je ne peux m'empêcher de souligner, dans les propos de l'ancien ministre allemand des affaires étrangères (qui se présnte, il est vrai, comme un "réaliste rebelle") une faille majeure dans son raisonnement. A priori, l'idée première et "force" de la proposition contenue au sein de l'article est plus que louable. Depuis le début des années 1990, l'Occident a géré ses relations avec la Russie sans une réelle vision à long terme de la place que devait désormais occuper Moscou sur l'échiquier régional européen et mondial. Les multiples débats qui eurent lieu dans le cadre de l'OSCE (cf. les discussions sur le modèle de sécurité commun et global pour le 21ème siècle entre 1996 et 1999, les débats parfois houleux tenus au Conseil de l'Europe sur les limites de l'Europe, les fondements chértiens de la civilisation européenne, etc.) ont briallement attesté du fait que l'ensemble des Etats du système paneuropéen naviguaient à vue. Ceci était la conséquence logique, me dira-t-on, des secousses géopolitiques de l'après-guerre froide (dans lesquelles nous évoluons encore, n'en déplaise aux tenants de visions et postures millénaristes). Toutes les structures imaginables furent mises en place et tentées : Conseil de Coopération Nord-Atlantique, Partenariat pour la Paix, Conseil du Partenariat Euro-Atlantique (en remplacement du CCNA), Conseil Otan-Russie, Partenariat OTAN-Ukraine, ... Je ne reviendrai d'ailleurs pas sur les bilans en demi-teinte de ces multiples initiatives auxquelles je n'ajouterai pas les tentatives diplomatiques conduites au sein de l'OSCE. Bref, la proposition de Joschka Fischer est attrayante : pourquoi ne pas réaliser ce qui n'a jamais encore été tenté : intégrer la Russie dans l'OTAN?
 
Certes, mais là où le raisonnement présente une faille c'est lorsque Joschka Fischer énonce les facteurs qui pourraient pousser les Européens (et sans doute l'Occident dans son ensemble) à intégrer la Russie dans son ensemble, voire à intégrer l'OTAN. Finalement, souligne l'ancien ministre allemand, la volonté de restauration de la puissance russe est structurellement fragile : perspectives économiques incertaines (réduction du prix du baril et, dans son sillage, des énergies), chute de la démographie, etc. Tous ces éléments font que :
  1. l'Europe ne doit pas changer sa stratégie et ne pas considérer la Russie comme un adversaire stratégique;
  2. l'Occident doit pouvoir aborder sereinement l'idée d'une adhésion éventuelle de la Russie à l'OTAN (si cela ne suppose pas au prélable un changement radicale de stratégie...).
Il est, de toute évidence, peu probable qu'une relation équilibrée et saine puisse être bâtie entre deux partenaires si l'un des deux partenaires entend tirer profit des fragilités structurelles de son homologue (à moins d'être dans une perspective réaliste).
 
On remarquera, en outre, que Joschka Fischer fait l'impasse complète sur la question des rapports d'alliance établis entre la Russie et ses partenaires asiatiques dans le cadre de l'Organisation de Coopération de Shangaï (OCS). C'est que l'Occident a quelque peu de mal à appréhender la nature exacte de ce nouveau pôle macropolitique. S'agit-il d'une organisation de coopération économie et politique? d'une organisation de sécurité? d'une Alliance? La préservation de l'ambiguité est expressément entretenue. Surtout, l'OCS est-elle l'instrument approprié à uen forme de rééquilibrage politique en Eurasie? Rien n'est moins sûr.
 
Quelles que soient les tergiversations diplomatiques qui peuvent entourer la perspective d'une redéfinition du système de sécurité européen, plusieurs données doivent être gardées à l'esprit: les dirrigeants actuels de la Russie (V. Poutine en premier lieu) a su tirer les leçons des années 1990. L'idée d'une intégration de la Russie dans l'ensemble occidentale (et plus spécifiquement de l'OTAN) dans les conditions actuelles (et les récentes crises intervenues pourraient bien constituer des arguments à la faveur du maintien d'un statu quo) est purement irréalisable. Il serait, enfin, illusoire de penser que les Etats-Unis puissent, avec le nouveau Président Obama, laisser évoluer l'Europe comme un électron libre dans l'Alliance. Si la place de l'Europe au sein de l'Alliance a certes évolué pour connaître une relative montée en puissance, il serait dangereux d'en déduire que tout projet de rapprochement de la Russie avec les Européens puisse s'opérer avec l'aval "par défaut" de Washington.
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Alain De Neve