jeudi 22 janvier 2009

Nanotechnologies : entre prophéties et recherche

C'est en parcourant aléatoirement la toile sur l'une de mes thématiques d'investigation de prédilection, "les nanotechnologies", que je suis tombé sur un débat intéressant qui anime depuis quelques années les milieux scientifiques américains sur la question précise de la politique américaine en matière de soutien à la recherche nanotechnologique. Un edito, datant de 2004, rédigé par l'équipe rédactionnelle de la revue The New Atlantis: A Journal of Technology & Society revient sur le schisme qui est apparu au sein de la communauté des chercheurs concernés par le développement des nanotechnologies (NT).
 
Dans une approche "Latourienne", relativement comparable à la question de "la production des faits scientifiques" il pourrait être affirmé que les activités liées au "développement" des nanotechnologies (je ferai d'ailleurs l'impasse sur les tergiversations afférant à la dénomination de cette discipline) n'entretiennent qu'un faible rapport avec ce qui relève, sensu stricto, de la science. Pour The New Atlantis, les accroissements constants de budgets en faveur des NT (le budget de la National Nanotechnology Initiative, pour 2009, devrait avoisiner les $1,5 milliards) opérés depuis bientôt dix ans ont pour le moins de quoi étonner dans la mesure où ces montants soutiennent une technologie qui, pour l'heure, n'a pas été pleinement prouvée et pourrait même être considérée comme pratiquement non-existante. Certes, des composants issus des premières recherches dans le domaine des NT envahissent déjà un grand nombre de produits et de consommables (cosmétique, pharmacologie, informatique, etc.). Néanmoins, on semble assez loin des grandes promesses annoncées par Eric K. Drexler (Engines of Creation) dans lequel, en 1986, il annonçait l'imminence de l'ère des "nano-assembleurs", tout dans un futur indéterminé devant être appelé à être fabriqué, développé, entretenu par des manufactures nanométriques auto-répliquantes et auto-organisées.
 
L'une des principales difficultés à laquelle est aujourd'hui confrontée la communauté scientifique américaine est que c'est précisément dans les prophéties émises par Drexler que nombre de chercheurs et de politiques ont placé leurs espoirs. Comble de l'ironie, ceux qui, au sein de la communauté scientifique tentent de démonter les arguments de Drexler ont quelque réticences à se démarquer de ce dernier. En effet, jamais sans doute la recherche nanotechnologique aux Etats-Unis n'aurait amassé autant de fonds si l'auteur d'Engines of Creation ne s'était engagé corps et âme dans une intense activité de sensibilisation et de lobby en faveur des NT.
 
Quel rapport avec les affaires de sécurité, me direz-vous? Il est évident lorsque l'on connait le principal bénéficiaire de la NNI : le Département de la Défense (DoD). En outre, il est utile de précisr que toute l'histoire de la pensée scientifique de l'après guerre qui a progressivement conduit à l'émergence des nanotechnologies (le terme n'apparaîtra qu'au milieu des années 1970) est, de près ou de loin (qui aurait imaginé le contraire?) liée au domaine de la défense. Aujourd'hui, l'Armée de terre et le MIT sont associés dans le cadre de l'Institute for Soldier Nanotechnologies pour le développement de solutions nanostructurées pour la protection du combattant. Cet Institut est l'arbre, toutefois, qui cache une forêt constituée de divers laboratoires investis de manière directe ou indirecte dans ce secteur de recherche.
 
Quid de l'Europe, me direz-vous? L'approche européenne semble a priori plus raisonnée et sereine (même si la stratégie européenne en faveur des nanotechnologies semble s'appuyer sur des perspectives de rentabilités financières à venir qui ne résisteraient pas à un examen approfondi). En dehors du 7ème programme cadre pour la R&D européenne qui palce les nanosciences et l'étude des matériaux parmi les principaux domaines subsidiés, l'Agence européenne de défense a lancé un nouveau programme d'investissement conjoint (Joint Investment Program - JIP) sur les nouveaux concepts en matière de technologies émergentes (Innovative Concepts & Emerging Technologies - ICET). Cet effort s'inscrit dans la droite ligne de l'approche qui a, précédemment, guidé le premier JIP sur la protection des forces et du combattant. Les sommes investies sont, à l'évidence, peu comparables avec les dépenses consenties par les Etats-Unis mais ne dit-on pas que les ruptures stratégiques n'interviennent pas nécessairement au sein des Etats qui prétendent y parvenir les premiers?
 
PS : pour info, un rapport d'étude que je rédige pour le compte de l'Institut Royal Supérieur de Défense paraîtra à la fin du mois de février et portera sur une analyse comparative des agances, structures et budgets de la recherche nanotechnologique contemporaine.

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Alain De Neve

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