jeudi 21 août 2008

"Un affrontement entre la Russie et l'Occident est inimaginable"

Interview de votre serviteur parue dans le journal L'Echo du mercredi 20 août 2008. Propos recueillis par Magali Uytterhaeghe.

Le retrait russe vous surprend?

En fait, la Russie ne s'est jamais retirée de la Géorgie. Durant les années 1990, Moscou disposait de quatre bases en Géorgie héritées de l'Union soviétique. Moscou prévoyait de les quitter dans le cadre du traité sur les forces conventionnelles en Europe. Mais malgré cela, elle freinait des quatre fers car elle estimait que les populations d'Ossétie du Sud, de l'Abkhazie et de l'Adjarie étaient favorables à la présence russe. Et les événements actuels ne faciliteront pas ce retrait. Au contraire, le président géorgien a offert aux Russes sur un plateau d'argent le prétexte pour intervenir dans cette zone.

Moscou pourrait accepter un retrait de Géorgie en échange du maintien de ses bases?

La question du démantèlement de ces bases est restée en suspens car le traité sur les forces conventionnelles en Europe n'a pas été mis en oeuvre. Ce traité prévoyait d'éviter qu'un Etat en Europe puisse concentrer des forces à ses frontières et procéder à une guerre éclair. Mais comme certains pays de l'Est sont devenus membres de l'OTAN, la Russie exigeait une révision complète du traité. En 1999, la révision du traité a abouti, mais l'Occident a conditionné sa ratification au départ des Russes des bases à l'étranger. ce qui ne faisait pas partie du "deal" pour les Russes. Tout cela a finalement abouti à un dialogue de sourds et à la dénonciation du traité par la Russie.

Résultat: il n'y a pas d'instrument pour permettre aux membres de l'OTAN de vérifier les opérations réalisées par la Russie sur son territoire et dans d'autres Etats. Ce qui a permis à Moscou de concentrer des forces à la frontière géorgienne et de réagir de manière si fulgurante en Ossétie du Sud.

La réactivation du traité sera-t-il un point essentiel pour l'OTAN?

Non, les membres de l'OTAN ne se font plus d'illusion sur la réactivation de ce traité. Ceci dit, on semble essayer d'arracher par d'autres moyens de petits accords en matière de forces conventionnelles. ainsi, dans l'accord de cessez-le-feu que le président français, Nicolas Sarkozy, a soumis à la Géorgie et à la Russie, il y a des mesures relatives aux forces conventionnelles applicables dans la région du Caucase.

Le non retrait russe menace les relations entre les membres de l'OTAN et la Russie?

Depuis la fin de l'ère soviétique, les relations entre la Russie et l'Occident, et en particulier les USA, évoluent difficilement. et ces dernières années, la Russie voit augmenter le nombre de dossiers qui fâchent comme l'élargissement de l'OTAN, la reconnaissance et l'indépendance du Kosovo, et la mise en place du bouclier antimissile américain.

la réaction en Géorgie correspond donc à la politique du balancier.

La diplomatie russe a d'ailleurs toujours su tirer profit des opportunités pour tirer à un moment donné son épingle du jeu.

Ceci dit, cela ne correspond pas à la politique extérieure russe actuelle qui vise à renforcer les liens avec les anciennes républiques de l'Union soviétique. C'est dans ce contexte qu'elle a signé avec la Chine, l'Iran et les pays d'Asie centrale "l'Organisation de la coopération de Shangai".

L'intervention russe accélérera l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN? Ou l'Occident ralentira ce processus pour ne pas devoir un jour défendre militairement la Géorgie face à la Russie?

L'OTAN à un intérêt géopolitique à intégrer la Géorgie. Cela ne fait aucun doute. Mais je ne pense pas que cet événement poussera les membres de l'OTAN à mettre l'adhésion rapidement à l'agenda.

Quant à l'obligation d'assistance militaire en cas d'agression, rien n'est moins sûr. Chaque membre de l'OTAN a le droit de choisir les moyens qu'il investit dans la défense militaire d'un allié.

La Russie pourrait-elle laisser "pourrir" la situation?

Si les Russes parviennent à maintenir leur position sans franchir de ligne rouge, l'Occident aura du mal à parvenir à ses fins. Ce serait quelque chose d'inédit pour la Russie.

Va-t-on vers un affrontement entre la Russie et l'OTAN?

Nous sommes dans une petite crise, pas dans un conflit. un affrontement est inimaginable. La Russie veut simplement montrer qu'elle ne veut pas se laisser dicter son comportement. Sur le plan militaire, elle est une menace pour ses voisins mais bien moins pour l'Europe. Elle a encore beaucoup d'efforts à faire pour rivaliser avec l'Amérique.

4 commentaires:

  1. "Nous sommes dans une petite crise, pas dans un conflit. un affrontement est inimaginable."

    Hum, un peu catégorique non?

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Je vous l'accorde. Bon, disons que la retranscription n'a pas été parfaite. En même temps, je n'en veux pas le moins du monde à la journaliste très motivée qui a véritablement cherché à comprendre les enjeux du conflit. Je la remercie d'ailleurs du temps qu'elle a consacré sur ce sujet. Sujet dont il est souvent difficile d'en relater les aspects de manière exhaustive.

    L'idée, lors de l'entretien, était de dire que si, dans l'état actuel des choses, un conflit était inimaginable, on avait à faire à une crise réelle. Crise qui pourrait d'ailleurs s'accompagner d'autres crises (je pensais, plus particulièrement, au schéma de Bretcher). Mais il est vrai que l'adjectif "petite" aurait pu être gommé.

    Néanmoins, je me refuse pour l'heure à rentrer dans le discours du "retour de la guerre froide". D'abord parce que je reste persuadé que la Russie reste encore profondément tiraillée entre une fascination pour le modèle occidental et un rejet des valeurs véhiculées par ce dernier. L'histoire de la Russie depuis Pierre Le Grand le démontre de manière assez évidente. En outre, ce sont les Etats d'Europe occidentale qui se sont livrés les guerres intestines les plus meurtrières. La Russie a souvent été la victime de choix stratégiques défavorables (en raison de facteurs souvent internes). La structure des tensions auxquelles nous assistons est très certainement d'une nature différente. Et c'est parce que ces tensions sont d'un type nouveau que nous pourrions, il est vrai, mal les anticiper et ne pas prévoir leurs effets à long terme. Je n'exclus donc pas, théoriquement, une montée relative aux extrêmes.

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  4. Oui, effectivement... ai-je laissé entendre le contraire?

    Ah oui, je vois le passage de l'interview que vous soulignez. Effectivement, il aurait pu être rajouté la différence existant entre la défense mutuelle prévue par le Traité de Bruxelles (et son article V en suspens depuis 2001) et l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord. Comme je le faisais remarquer, tout ne peut pas toujours être précisé dans ce cas de figure.

    Mais ceci dit, vous avez parfaitement raison. D'ailleurs, l'article 5 du traité de Washington n'indique pas que l'assistance - si elle a lieu - doit être de type militaire !

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